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Au voisinage de ton coeur...
10 septembre 2012

(A2) JANE EYRE, une adaptation à l'écran - COMPARAISON...

2012-déc-12  (V1_2012-sept-10)

Second post sur "Jane Eyre"

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Comparaison entre les univers de Jane Eyre (Charlotte Brontë) et de Pride and Prejudice [Orgueil et Préjugés] (Jane Austen).


Charlotte Brontë __________  Jane Austen

Charlotte Brontë - Author George Richmond 200×286 pixels        JaneAusten (c

Dans l'article précédent, j'avais annoncé une opposition entre deux auteurs, Jane Austen (1775-1817, auteur d' Orgueil et Préjugés, notamment) et Charlotte Brontë (1816-1855, auteur de Jane Eyre).

Leurs vies se déroulent à des périodes différentes, mais contiguës puisque Charlotte Brontë naît un an avant la mort de Jane Austen.

Pourtant leurs univers sont nettement dissemblables.
Et comme, à quelques mois d'intervalle, Arte a diffusé une adaptation de Pride and Prejudice (Orgueil et Préjugés) et une de Jane Eyre, le souvenir en est suffisamment vivace pour que le téléspectateur puisse comparer ces univers.
Bien entendu, la relecture ou la lecture des romans est irremplaçable.
Néanmoins les adaptations fournissent de bons éléments de comparaison.

Dans Pride and Prejudice, l'esprit acéré de Jane Austen pose avec acuité le problème crucial qui se pose aux jeunes filles "bien nées" mais peu dotées (au sens strict : ayant une dot faible ou inexistante) de la petite gentry anglaise : leur vie de femme dépend entièrement d'un bon mariage, aussi bien pour la sécurité économique que pour le statut social.

Et au travers des différentes figures de jeunes filles de Pride and Prejudice, Jane Austen nous dresse un petit éventail des heurs et malheurs qui peuvent advenir en cette situation très incertaine où une jeune fille noble mais pauvre doit trouver un mari qui soit au moins de son rang et qui soit en outre capable de lui assurer une existence sociale et matérielle intéressante.

Jane Austen pose le problème dans sa crudité sociologique, et grâce à son esprit incisif, elle décrit d'une plume mordante des situations-types qu'on peut observer dans la gentry rurale. La première phrase du roman est "It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife" (C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire en possession d'une jolie fortune doit être à la recherche d'une épouse), cette phrase, en réalité, laisse comprendre que... toute jeune fille pauvre recherche désespérement un beau parti.

Si nous voulions résumer en quelques éléments l'art de Jane Austen dans Pride and Prejudice, nous dirions, lucidité et ironie, appliquées à l'observation réaliste d'un monde socialement bien délimité, la petite gentry rurale en Angleterre.

Ce problème -crucial, pour une jeune fille pauvre- de trouver un mari bien né et fortuné est l'indépassable horizon des préoccupations des jeunes filles mises en scène par Jane Austen qui, bien après la publication du roman, donnait des nouvelles des personnages : elle voyait, pour les deux soeurs Bennett -non mariées dans le roman- un mariage satisfaisant tandis que Mary se satisferait d'épouser un des clercs de son oncle. Vous voyez, cette préoccupation du mariage était l'indépassable horizon des héroïnes de Jane Austen et de Jane Austen elle-même.

Jane Eyre et son auteure, Charlotte Brontë, c'est autre chose.

L'époque n'explique pas tout... : la mère de Jane Austen écrivait des poèmes humoristiques, soutenait des conversations pleines d'esprit et de traits mordants, donc Jane Austen avait de qui tenir.
L'époque n'explique pas tout, mais tout de même : à l'époque de Charlotte Brontë, on est passé au romantisme. Mais à vrai dire, la principale différence est dans la situation sociale de l'héroïne, nous allons expliciter ce point crucial.

Et puis le tempérament, la sensibilité de Charlotte Brontë la différencient de Jane Austen.
Charlotte Brontë est tout à fait capable d'ironie et d'humour, mais ce n'est pas la seule corde à son luth, et ce n'est pas sa corde principale.

L'imagination de Charlotte a été cultivée dans son enfance par la création -en commun avec Branwell (son frère), Emily et Anne Brontë (ses soeurs)- d'un monde imaginaire. Deux autres soeurs, Maria et Elizabeth sont mortes dans leur enfance: elles étaient tombées gravement malades au pensionnat de Cowan Bridge, qui donnera naissance au pensionnat de Lowood, dans Jane Eyre.
La fiction s'est donc nourrie de la réalité, et la douleur de Jane Eyre devant la mort d'Helen Burns est le reflet de la peine de Charlotte dans la vie réelle.

La sensibilité de Charlotte la pousse à s'épancher dans des poèmes. Dans un de ses poèmes elle évoque la mort d'une de ses soeurs (Anne, morte après Emily, et de la même maladie, la tuberculose) .

Dans Pride and Prejudice, on admire le brillant esprit de Jane Austen, esprit observateur, ironique et mordant.

Dans Jane Eyre, on aime la sensibilité de Charlotte Brontë, on aime et on s'identifie à l'âme à la fois ardente, modeste et fière de Jane Eyre. Cette Jane Eyre créée par Charlotte vit en nous. Nous, lecteurs d'aujourd'hui, nous recréons Jane et la sentons vivre en nous, comme des générations de lecteurs depuis la première parution du livre.

Le personnage de Jane Eyre est une création vraiment très intéressante.
Jane n'est pas la plus belle des femmes du roman, elle n'est pas forcément la plus intelligente.
Elle subit injustices, haines, humiliations, elle endure le froid, la faim, elle doit affronter enfant la mort de sa seule amie.
Jane Eyre a reçu une bonne instruction, mais elle est pauvre, et elle n'est que gouvernante, ce qui est pour le lecteur moderne (je veux dire par là, pour la France, après la Révolution française)... une situation sociale à laquelle le lecteur ordinaire du XIXème siècle (et des siècles suivants) peut s'identifier beaucoup plus facilement qu'au statut d'aristocrate richissime tel que Monsieur Darcy (le personnage masculin principal de Pride and Prejudice).

En pratique, peu de lecteurs peuvent dire qu'ils ont, socialement, de nombreux points communs avec Monsieur Darcy... Il est beaucoup plus facile et intéressant pour le lecteur moderne de s'attacher à un personnage dont le physique et la situation sociale sont ordinaires et proches de lui.

Les problèmes qui se posent à l'immense majorité des lecteurs modernes (en France, post-Révolution française) découlent de leur situation sociale et sont très voisins de ceux que rencontre Jane Eyre, mais très différents de ceux qui peuvent se poser à Monsieur Darcy.

Et parmi toutes les raisons qui font que le personnage de Jane Eyre est très attachant, voilà une puissante raison.

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Même si le roman demeure -évidemment- la source à laquelle il faut revenir, nous restons agréablement surpris par l'adaptation de la BBC qui fut présentée sur Arte, avec Ruth Wilson dans le rôle de Jane Eyre et Nastassia Girard doublant la voix de Ruth dans la version française.

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Ah si ! J'allais oublier. Une autre différence notable entre Pride and Prejudice et Jane Eyre, c'est que, dans Pride and Prejudice, le regard reste focalisé uniquement sur la gentry rurale. Autrement dit, dans Pride and Prejudice, les domestiques sont totalement transparents (souvenir à contrôler).

Dans Jane Eyre, au contraire, les domestiques existent en tant que personnes, ils ont une personnalité (penser à Mme Fairfax, à Grace Poole etc) et ils ont même un rôle non négligeable dans le déroulement de l'histoire et dans les interactions avec le personnage principal, Jane Eyre.

Jane Eyre elle-même, en tant que gouvernante, n'est qu'une employée. Ses connaissances mettent une gouvernante au-dessus des simples domestiques mais, en terme de statut social, de considération, la situation d'une gouvernante n'est guère différente de celle d'une domestique.
D'ailleurs, après la lettre de Rochester, quand Mme Fairfax organise un branle-bas de combat en vue de recevoir les invités qu'il va ramener, elle mobilise sans hésiter la gouvernante (Jane) en lui demandant de porter un panier contenant les oeufs d'oie : comme les autres employés de maison (permanents ou occasionnels), Jane, toute gouvernante qu'elle est, est appelée à participer aux tâches domestiques.

La somme de travail qu'on demandait à une gouvernante pouvait être considérable: comme tous les employés de maison logeant à demeure chez leurs maîtres, une gouvernante devait accomplir de très longues journées, depuis très tôt le matin jusqu'à très tard le soir.
En outre, une gouvernante subissait de nombreuses humiliations de la part des enfants de ses maîtres. Ceci apparaît d'ailleurs dans la mini-série de la BBC, puisqu'on y entend Blanche Ingram et sa soeur Mary se rappeler leur cruauté vis à vis de leurs gouvernantes successives, parfois renvoyées à cause d'elles.

Comparée à la situation des autres gouvernantes de l'époque, la situation de Jane Eyre est donc très enviable. Rochester est un maître souvent absent et, lorsqu'il est présent, il n'accable pas Jane de tâches harassantes. Si Rochester met Jane en difficulté, c'est pour d'autres raisons : il est brusque, changeant, parfois autoritaire, parfois tendre, il est manipulateur jusqu'à la cruauté.

Méditez bien cette différence entre les employés de maison, transparents dans Pride and Prejudice (Jane Austen) et au premier plan dans Jane Eyre (Charlotte Brontë).
Notez que cette différence fait de Jane Eyre un roman beaucoup plus moderne que Pride and Prejudice.

Jane_Eyre_Bronte - from DVD BBC 2006 with Ruth Wilson - Jane Eyre & Mrs Fairfax à Thornfield Hall - BBC 2006

Deux employées de maison :
Jane Eyre (peu après son arrivée à Thornfield Hall) et Mrs Fairfax.

[Production BBC 2006, Ruth Wilson incarne Jane Eyre]



Bien à vous,

K.



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