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Au voisinage de ton coeur...
24 août 2013

"Northanger Abbey" adaptation TV du roman de Jane Austen "Les Nuits Blanches" de Dostoïevski "Jane Eyre" de Charlotte Brontë

2016-02-26 V5  relu, corrigé et complété ---  2013-0824 V1

NORTHANGER ABBEY - CATHERINE MORLAND 01_

Northanger Abbey (1) :
la lecture de romans enfièvre le coeur et l'imagination de Catherine Morland
(le coin d'un livre est visible au bas de l'image).

Pour voir tous les messages sur, respectivement,
Jane Eyre, Charlotte Brontë, Jane Austen, Dostoïevski (...)
cliquer sur le tag correspondant dans la colonne de droite.


Ma lecture de "Northanger Abbey" commence à dater,
aussi la diffusion sur Arte d'une adaptation TV de ce roman de Jane Austen m'apparut comme la perspective d'une redécouverte.

Je me souvenais vaguement de la référence ironique, dans le roman, aux romans gothiques et à d'immenses et sombres demeures, aussi inquiétantes que difficiles à entretenir... Et justement, dans mon souvenir, Jane Austeen notait avec malice que l'épineuse question de l'entretien de ces vastes demeures n'est pas traitée dans les romans gothiques ;-)

Dans cette adaptation TV de "Northanger Abbey", l'ironie de Jane Austen éclate dès le début, où la narratrice présente Catherine Morland comme fort éloignée d'une héroïne de roman.
Habile mise en abyme puisque l'héroïne du roman est une lectrice de romans. Ainsi, "Northanger Abbey" annonce son sujet : l'influence de la lecture de roman sur une jeune personne encore très ignorante de la vie.

Ce choix n'est pas un hasard, il y avait là, dès l'époque de Jane Austen, un vrai sujet sociologique : il y avait alors, dans chaque pays d'Europe, une classe sociale aisée où les jeunes filles avaient suffisamment d'instruction pour lire des romans mais pas assez de liberté pour vivre librement des aventures amoureuses. Dès lors, c'est en imagination qu'elles pouvaient vivre d'incroyables aventures, dont le manque de réalisme ne les préparait pas aux réalités moins échevelées et aux exigences plus profondes de la vie réelle.
Pour le dire encore autrement, il y avait, pour les auteurs de romans sentimentaux et d'aventure, un public, autrement dit, un "marché" au sens économique du terme.

NORTHANGER ABBEY - CATHERINE MORLAND 03_

"Northanger Abbey" (2) :
la lecture de romans enfièvre le coeur et l'imagination de Catherine Morland qui rêve tout éveillée.

La finesse de Jane Austen - et sa supériorité par rapport aux auteurs écrivant des romans aptes à captiver ce public des jeunes filles aisées - c'est de s'élever à un niveau plus élevé, en prenant pour sujet l'effet - sur des jeunes filles - de la lecture de romans flattant des rêves aussi creux que palpitants.

Ce n'est pas la première fois qu'un auteur se moquerait d'un genre littéraire: le Don Quichotte de Cervantes est un homme qui a lu trop de romans de chevalerie et les a pris trop au sérieux.

Toujours sur le même sujet, un ouvrage de Dostoïevski me revient à l'esprit: « Les Nuits blanches ».
Là aussi, on peut parler de distance – non pas dans l'histoire elle-même, mais au sens où Dostoïevski prend ses distances vis-à-vis du sentimentalisme mièvre des romans médiocres et vis-à-vis d'un romantisme irréaliste.

Voici donc l'occasion d'évoquer Dostoïevski dans ce blog, et malgré l'absence d'adaptation TV d'une de ses oeuvres, cette occasion se présente tout naturellement au fil de mes commentaires.
C'est une occasion que j'attendais depuis longtemps, car parmi tous les auteurs de fiction que j'ai eu l'occasion de lire, je considère Dostoïevski comme le plus important, tout simplement, et comme comme tout à fait à part, remarquable entre tous.
Bien entendu, il n'y a pas de classement absolu en littérature.
Mais il me semble qu'un peu d'exigence chez un lecteur devrait l'inciter instinctivement à se tenir à distance d'oeuvres superficielles.


À l'inverse de Charlotte Brontë qui dut travailler dur et longtemps pour créer une œuvre romanesque aboutie ("Jane Eyre" sur laquelle j'ai écrit quatre articles dans ce blog), Dostoïevski devint très jeune un auteur reconnu, précocement accompli : son roman « Les Pauvres Gens », publié en feuilleton dans la revue « Le recueil de Saint Pétersbourg », en 1846, est reconnu par la critique (le poète Nékrassov est enthousiasmé par l'ouvrage et le donne à lire le livre au redouté critique Biélinski, lui aussi conquis) comme par le public et, à vingt-cinq ans, Dostoïevski est déjà un écrivain célèbre, et à juste titre.
Dès sa jeunesse, Dostoïevski est un écrivain fécond, il publie ensuite plusieurs nouvelles, dont « Le Double » (également en 1846).
Et en novembre 1848, « Les Nuits Blanches » paraissent dans la revue « Otetchestvennye Zapiski » (Les Annales patriotiques).

En avril 1849, Dostoïevski est arrêté par la police du tsar Nicolas 1er. Il était en train d'écrire un nouveau roman, « Niétotchka Niezvanov » qui restera inachevé, vous allez comprendre pourquoi.

Le jeune écrivain a eu le malheur de fréquenter le cercle Petrachevski, un cercle progressiste, des intellectuels plus que des conspirateurs.
D'ailleurs, Dostoïevski n'en faisait pas partie. Mais fréquenter ce cercle était pour lui, qui bouillonnait de réflexions et d'interrogations, l'occasion d'échanger des idées.
Le pouvoir tsariste ne fait pas dans le détail et Dostoïevski, arrêté en même temps que les membres du cercle Petrachevski, est condamné à mort.

En décembre 1849, peu avant Noël, l'exécution est organisée, et au tout dernier moment, un envoyé du tsar apporte un ordre de grâce du tsar : quelle macabre manipulation !...
La "grâce" ne concerne que le type de peine, pas la condamnnation :
la peine de mort est commuée en peine de travaux forcés, en Sibérie.

Dans le bagne où est interné Dostoïevski, quelques condamnés politiques cohabitent avec de nombreux condamnés de droit commun, dans des conditions matérielles et psychologiques très dures.
Sa peine prend fin en 1854, mais non sa déportation : Dostoïevski est affecté en Sibérie.
Il est donc cantonné très loin du seul centre notable de la vie intellectuelle en Russie : Saint-Pétersbourg.

Dostoïevski racontera ses années de bagne dans un livre saisissant : « Souvenir de la maison des morts » publié en 1860.
C'est le tout premier livre sur les camps russes, par quelqu'un ayant purgé une peine.

Un siècle plus tard environ, un certain Alexandre Soljenitsyne (qui connaissait forcément l'existence de ce livre de Dostoïevski) fera paraître, en 1962, "Une journée d'Ivan Denissovitch" et, en 1973, "L'archipel du Goulag", deux livres consacrés aux camps de l'Union Soviétique.

Sont également parus, plus tard, des livres de souvenirs sur les "laogaï", les camps chinois, avec - semble-t-il - cette différence que, dans les camps de l'Union soviétique, le prisonnier disposait d'un certain quant-à-soi lui permettant d'écrire - non pas sur du papier, mais dans sa tête - un livre, tandis que dans les "laogaï" (劳改 : láogăi ; abréviation de 劳动改造 láodòng gǎizào, "rééducation par le travail"), le prisonnier "en rééducation" subissait une pression psychologique permanente qui ne lui permettait pas de se concentrer sur la composition d'un récit.
De la Révolution culturelle (qui débute en 1966) subsiste des photos où de supposés "révisionnistes" et "droitiers" se retrouvent avec un écriteau accroché autour du cou, par exemple un professeur faisant son autocritique devant des étudiants virulents, dans un climat d'hystérie collective.
La Révolution culturelle fut pour Mao Zedong le moyen de reprendre les rênes du pouvoir et de revenir au premier plan... Ce mouvement
enverra - et pour des années - des dizaines de milliers de personnes instruites dans des camps de rééducation, les terribles "laogaï"...
Ceux qui survivront et pourront sortir de ces camps, des années plus tard, seront parfois malades, diminués au point de ne pouvoir reprendre leur travail. D'autres pourront reprendre un travail similaire à celui qu'ils occupaient au moment de la déferlante des "gardes rouges" et des processus d' "autocritique". Mais aucun ne pourra parler de ce qu'il a vécu, jusqu'à ce que, des décennies après la Révolution Culturelle, paraissent enfin quelques livres ou recueils de témoignages...

Sans établir de gradation dans l'horreur, on peut affirmer que les camps d'extermination des Khmers rouges ont atteint des sommets en la matière.
Là aussi, il existe quelques témoignages - les survivants sont rares -, témoignages à la fois de ces méfaits et de l'incroyable état d'esprit qui habitait les bourreaux - souvent des gens simples à qui le régime Pol Pot insufflait la haine des prisonniers, en désignant ces malheureux comme "ennemis du peuple", ce qui était une façon de déshumaniser les prisonniers aux yeux des gardiens.

Peut-être y aura-t-il un jour un livre de témoignage écrit par un prisonnier qui aura vécu l'enlèvement par la CIA, l'internement dans des prisons secrètes en dehors des USA, un prisonnier qui aura subi la torture, celle-ci pouvant être soigneusement niée grâce aux définitions léonines de juristes américains, un prisonnier qui aura subi également l'internement et la torture dans le camp de Guantanamo, avec privation de sommeil, absence de procès, et autres abus...
  Ici, c'est le mot "terroriste" qui sert à déshumaniser les prisonniers aux yeux des gardiens et aux yeux de l'opinion occidentale, alors même que les accusations portées contre chacun des prisonniers restent à prouver. Mais les incarcérations expéditives ne s'embarrassent pas d'enquête approfondie : c'est ainsi qu'on a enlevé l'homonyme d'une personne recherchée.
Et aucun procès équitable n'a jamais vu le jour. De sorte qu'on a plongé dans une détention arbitraire indéfinie - et torturés - des individus sans avoir prouvé leur culpabilité et sans les avoir fait passer en jugement, le tout au nom des valeurs de l'Occident.
>> Peut-on prétendre défendre la démocratie en bafouant la dignité humaine et le droit des accusés ?
Les excès ne doivent-ils pas être dénoncés quels que soient leurs auteurs ?
Quel que soit le pouvoir en place, toujours avide de silence et de secret, la vérité des faits ne doit-elle pas être dévoilée ?
Autant de questions délicates et brûlantes. Des questions d'éthique.
 En tout cas, tous les livres de témoignages sur les camps de toutes sortes ont un ancêtre commun : "Souvenirs de la maison des morts" de Dostoïevski.

C'est en 1854 que Dostoïevski peut sortir du bagne, mais il doit rester en Sibérie.
Cette relégation ne prend fin qu'en 1860 : Dostoïevski obtient alors la permission de rentrer à Saint Pétersbourg mais jusqu'à la fin de sa vie, l'écrivain - pourtant célèbre et reconnu dans son propre pays - sera surveillé par la police secrète et, plus généralement, par les autorités : des années plus tard, son courrier en Russie lui parvient avec retard parce qu'il est ouvert par les autorités, et ses bagages sont soigneusement fouillés lorsqu'il rentre de l'étranger.

Dans les années qui suivent, Dostoïevski, par ailleurs malade et criblé de dettes, écrira des œuvres qui sont d'une importance encore plus grande que ses premiers ouvrages.
Citons « Le Sous-sol », « Crime et Châtiment », « Les Démons » (ou « Les possédés » selon la traduction), « Les Frères Karamazov », sans oublier « Le Joueur » (généralement sous-estimé, à tort), « L'Adolescent » etc.

Celui qui veut connaître Dostoïevski doit éviter de se plonger dans les notices des encyclopédies... et fera mieux de lire les œuvres de Dostoïevski en sautant les préfaces au mieux inutiles et au pire, nuisibles. Par contre le lecteur prêtera attention aux résumés biographiques sur Dostoïevski et aux documents d'époque.
Sur la vie de Dostoïevski, il y a des choses à savoir, notamment sur sa douloureuse relation avec Apollinaria Souslova, une période suivie par l'heureuse et bienfaisante rencontre – et dans quelles conditions ! - avec Anna Grigorievna Snitkina.

À l'époque, Dostoïevski est dans une situation financière difficile et de plus, lié à un éditeur malhonnête par un contrat abusif, il doit livrer un nouveau roman en un temps record. Ça paraît presqu'impossible et des amis lui proposent d'écrire le livre à sa place. Dostoïevski refuse cette solution et relève le défi d'une création express. On lui recommande d'utiliser les services d'une sténographe.
Recommandée par son professeur, la jeune Anna Grigorievna Snitkina (dix-neuf ans) se présente chez Dostoïevski. C'est une jeune fille éduquée, intelligente, elle a fait de brillantes études secondaires.
Elle connaît déjà l'oeuvre de Dostoïevski qui est vénéré dans sa famille.
  Dostoïevski l'engage et lui dicte à marche forcées un roman bref et haletant, écrit à la première personne : le narrateur est possédé par le démon du jeu, comme Dostoïevski lui-même.
Le roman est terminé à temps et malgré une manœuvre de l'éditeur qui ne veut pas réceptionner l'ouvrage (afin de s'accaparer les droits de toute son oeuvre), Dostoïevski le livre en faisant appel à un commissariat de police. Il a donc respecté le contrat léonin qui lui avait été imposé.
Il demande alors la main d'Anna Grigorievna Snitkina d'une façon... extrêmement littéraire, Anna G. Snitkina raconte cela dans ses mémoires parues sous le titre « Dostoïevski, mémoires d'une vie ». Un livre fort émouvant et très intéressant, toutefois ce n'est pas là que vous apprendrez à connaître la personnalité manipulatrice et cruelle d'Apollinaria Souslova (citée plus haut) dont Dostoïevski fut douloureusement amoureux avant de rencontrer Anna Grigorievna.

Anna Grigorievna accepte la demande en mariage de Dostoïevski. Elle l'accompagnera et l'aidera jusqu'à la fin de sa vie.
Dostoïevski est très malade, il souffre notamment d'épilepsie.
Il est couvert de dettes et dès qu'il reçoit une avance sur un nouvel ouvrage, il est assailli par une nuée de parasites* à qui il ne sait pas dire non. [* Beaucoup sont membres de sa famille et défilent chez lui pour exiger leur part d'une rentrée d'argent où ils n'ont pris aucune part. Instructif sur le mode de vie parasitaire d'une bonne partie de la noblesse russe de l'époque.]
Enfin Dostoïevski est possédé par le démon du jeu, une passion qui ne s'éteindra pas tout de suite après la rédaction du « Joueur », (contrairement à ce qu'on peut lire parfois). C'est un point très important : l'écriture de ce roman n'aura donc pas servi d'exorcisme pour son auteur.

Dostoïevski est à coup sûr l'auteur qui a le plus compté sur moi et j'en dirai peut-être plus un jour.
En attendant, ceux qui sont passionnés par son œuvre peuvent me contacter – cela constituera un important point commun entre nous – mais attention, l'oeuvre de Dostoïevski est une œuvre qui se comprend de l'intérieur.
Donc pas de faux-semblants, et ceux qui sont insensibles à Dostoïevski peuvent garder le silence.

Attendez ! Précision importante : je n'ai jamais dit que je partageais les opinions de Dostoïevski.
Ce dont je parle à propos de Dostoïevski, c'est de l'expérience d'une lecture.
Lire Dostoïevski, c'est vivre quelque chose d'unique, d'incomparable.
Oui, j'en parlerai peut-être un jour.

Revenons donc à notre thème initial : « Northanger Abbey », ou plutôt son adaptation TV puisque je l'aie vue récemment sur Arte tandis que ma lecture du roman de Jane Austen commence à dater.

Au début du visionnage, j'ai été un peu inquiet.
L'ironie très appuyée de la narratrice (voix off qui présente Catherine Morland enfant puis jeune fille) m'a tout de suite renvoyé à ce trait de caractère de Jane Austen, et je me retrouvais donc en terrain très, voire trop connu, d'autant que je voyais venir le sempiternel thème, chez Jane Austen, de la « jeune-fille-pauvre*-qui-va-avoir-bien-du-mal-à-trouver-un-mari-à-la-fois-amoureux-et-capable-de-la-faire-vivre-sur-un-pied-convenable ».
* « jeune-fille-pauvre » signifie ici non pas "pauvresse", mais
"dont la famille, appartenant à la ''bonne société'', ne peut lui assurer qu'une dot insignifiante".

C'est ici l'occasion de mettre en évidence...
une grande différence entre les romans de Jane Austen et « le » roman de Charlotte Brontë, « Jane Eyre ».

Les personnages des romans de Jane Austen sont très différents par le degré de leur fortune – très modeste chez certains, immenses chez d'autres – mais ne sont néanmoins pas complètement séparés sur le plan social : tous font partie de « la bonne société », et certains sont beaucoup plus riches que d'autres. Il est donc peu probable qu'une jeune fille de la bonne société, mais d'une famille modeste, puisse trouver un mari riche, et il est même bien possible qu'elle ne trouve pas de mari du tout.
La problèmatique de la recherche du mari est un leitmotiv obsédant et au moins autant – pour ne pas dire plus - social qu'affectif dans les romans de Jane Austen. Dans un roman de Jane Austen, une jeune fille de famille modeste espère trouver à la fois un homme amoureux et un mari aimant et si possible, fortuné.
Quant aux domestiques, aux paysans, au petit peuple en général, ces gens-là sont complètement transparents dans les romans de Jane Auste, alors que dans Jane Eyre de Charlotte Brontë, ce sont des êtres à part entière, doués d'une personnalité propre (voir le personnage de Grace Poole).

Dans « Jane Eyre », le roman de Charlotte Brontë, Jane est une orpheline rejetée par sa famille et – si l'on met à part le tardif « deus ex machina » d'un oncle qui lui lèguera sa fortune –, Jane Eyre est jetée dans la vie sans appui et sans argent. Elle grandit dans un internat sinistre et malsain, où les élèves sont très mal nourris et décèdent en masse lors d'une épidémie de typhus.
Devenue professeur dans cette institution, elle n'en sort qu'en posant une petite annonce dans un journal.
Sans argent, sans appui, elle devient gouvernante dans une famille riche, où les domestiques sont nombreux et elle-même n'a guère plus d'importance socialement, qu'une domestique.
Seul le regard du maître de céans, en se posant sur elle, va l'élever au-dessus de sa condition. Or c'est là une issue particuilèrement heureuse (dans le roman), mais particulièrement peu probable (dans la réalité) : les gouvernantes non seulement sont traitées et renvoyées comme de simples domestiques et comme les domestiques, ces gouvernantes doivent être disponibles 24 heures sur 24. Quand elles ne sont pas renvoyées par leur employeurs, elles partent d'elles-mêmes, exténuées par la charge qu'on leur impose. Voilà la réalité sociologique des gouvernantes à l'époque de Charlotte Brontë, une réalité qu'elle a vécue puisqu'elle-même a été gouvernante.
Dès lors, la destinée de Jane Eyre apparaît comme une compensation pour Charlotte Brontë :
- compensation sur le plan affectif, puisque Charlotte n'aura pas rencontré l'amour heureux et partagé qu'elle attendait
- compensation sur le plan social, puisque Jane – qui n'est pas vraiment jolie – va épouser un des hommes les plus riches d'Angleterre, sans jamais renoncer à son indépendance foncière.

En résumé :
- dans les romans de Jane Austen, nous croisons des jeunes filles de famille « honorable » mais modeste qui cherchent un homme qui consente à épouser une jeune fille pourvue d'une dot insignifiante et en plus, un homme agréable qui les aime d'un amour sincère et partagé : c'est évidemment beaucoup demander à la vie et dans ce fol espoir résident toute l'incertitude du destin des jeunes héroïnes de Jane Austen ; dans les romans de Jane Austen, les domestiques sont des figurants, ils n'accèdent pas au statut de « personnage de roman », statut réservé aux membres (modestes ou riches) des familles (modestes ou riches) de la « bonne société » (expression que je mets toujours entre guillemets, vous l'aurez remarqué);
- dans « Jane Eyre » de Charlotte Bronté, l'héroïne est orpheline, sans appui et seule son origine familiale la rattache à la bonne société, par un fil bien mince car, en pratique, cette jeune fille doit gagner sa vie par ses propres moyens et elle se retrouve quasiment avec un statut de domestique ; c'est un petit miracle qu'elle ait, par sa personnalité (et non par sa beauté car Jane n'est pas belle) retenu l'attention de son maître, Monsieur Rochester, le riche propriétaire de Thornfield.


Etudions maintenant « Northanger Abbey » pour lui-même, étant entendu que nous commentons ici non pas directement le roman, mais l'adaptation TV qu'Arte vient de diffuser.

Comme je l'ai laissé entendre plus haut, je me suis très vite inquiété de retrouver, dès le début – et fortement marqués –, les traits que je connaissais bien de Jane Austen :
une intelligence aïgue des rapports sociaux alliée à un esprit ironique mais froid.
Mais j'ai quand même continué à regarder et en avançant dans le visionnage, j'ai été agréablement surpris par la qualité du propos :
comme dans la vraie vie, Catherine Morland a bien du mal à savoir à qui elle peut se fier et de qui elle doit se défier.
Elle est confrontée à des flatteurs, des menteurs, des menteuses, tous plus convaincants les uns que les autres.
Et son immersion dans la vie sociale est une succession de malentendus qui ne se dissipe que malaisément.
Les erreurs qu'elle commet auraient pu détourner d'elle les personnes sincères et bien disposées à son égard,
tandis qu'elle aurait pu tomber dans les griffes de flatteurs et flatteuses qui ne souhaitaient qu'une chose : soutirer de l'argent à son protecteur.
Au-delà du premier sujet – défini plus haut : les effets sur une jeune fille de la lecture de romans destinés à emporter son imagination –, ce second sujet est évidemment encore plus vaste, on pourrait le formuler ainsi :
« comment choisir ses amis, à qui confier son cœur ? »

Je le répète, j'ai été très agréablement surpris par cette adaptation de « Northanger Abbey » où Jane Austen, au-delà de son esprit piquant, apporte un vrai sujet de méditation à ses lecteurs.

K.

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