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Au voisinage de ton coeur...

3 septembre 2016

En mémoire des victimes - Agir pour les vivants - Jay Haley - Former les pauvres

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Tina Fontaine, 15
Tina Fontaine, indienne Ojibwé,
1999-JAN-01 - assassinée le 2014-AOU-10 à Winnipeg (Canada)


(A) Recueillons-nous en mémoire de Tina et des autres victimes


Le 10 août 2014, à Winnipeg (Canada) disparaissait une jeune amérindienne.
Une de plus dans la longue liste des femmes amérindiennes victimes de violences.
Une de plus dans une liste déjà longue, qui s'est encore allongée depuis.

Winnipeg sur la carte de l'Amérique du nord

Les peuples amérindiens (catégorie dans laquelle on inclut les Indiens, les Métis et les Inuits) constituent moins de 5% de la population totale du Canada. Mais une fille ou une femme amérindienne risque quatre fois plus d'être assassinée ou portée disparue...
Quatre fois plus..., c'est vraiment significatif d'une fragilité, d'une vulnérabilité très accentuée pour ces populations.

Pourquoi parler du cas de Tina Fontaine en particulier ?
Parce qu'il est emblématique et parce que sa médiatisation aura été - peut-être - le début d'une vraie prise de conscience au Canada. Du moins peut-on l'espérer.
Mais la liste des filles et femmes amérindiennes tuées ou portées disparues était déjà longue du vivant de Tina et continue à s'allonger après sa mort, à un rythme qui n'a pas ralenti...

Tina Fontaine est née le 1 janvier 1999 dans l'État du Manitoba, dont la frontière sud est limitrophe du Dakota du Nord.
(Donc au nord de cette frontière, c'est le Canada. Au sud, ce sont les États-Unis.)

Ses parents ayant du mal à s'occuper d'elle, Tina et sa jeune soeur furent élevées par leur grand-tante,Thelma Favel, dans la réserve de Sagkeeng, au nord-est de la ville de Winnipeg.

Tina Fontaine, enfant - Red Power Media

Tina avait beaucoup d'amies et était très populaire.

TINA FONTAINE


Mais la mort du père de Tina - assassiné en 2011 - porta un rude coup à la jeune fille (11 ans à l'époque). Sa joie de vivre fut asséchée.

En 2014, Tina (15 ans) parle de plus en plus à Thelma de sa mère biologique, elle finit par demande à Thelma la permission d'aller voir sa mère à Winnipeg.
Comme Tina avait bien travaillé à l'école ce trimestre, Thelma lui accorde cette permission et lui donne soixante dollars.

Thelma parlant de Tina :
"Elle avait quinze ans, mais elle en paraissait douze. Elle était sans défense."

Si j'ai bien compris : avant de la laisser partir, Thelma avait pris des contacts avec les services sociaux, pour la sécurité de Tina, car elle savait que la mère de Tina, Valentina (Tina) Duck avait des problèmes d'alcoolisme et avait pratiqué la prostitution. ("Sex trade" est l'expression utilisée en anglais).

Ces pratiques (vendre son corps, addiction à l'alcool et/ou à d'autre drogues, vendre son corps) sont plus fréquentes dans les populations omarignalisées, marquées par la pauvreté et l'instabilité familiale, de génération en génération.
Pour les Amérindiens, ostracisés soumis à un long génocide culturel et à un dramatique délitement de leur identité, le risque de suivre un tel parcours est plus élevé que dans le reste de la population. Au sein des familles touchées, ce risque tend à se reproduire de génération en génération.

Pendant son séjour de quelques semaines à Winnipeg, Tina, via son téléphone mobile, envoya des photos à... sa soeur.
Ces photos montraient qu'elle avait des bleus, et Tina expliquait à sa soeur qu'elle était battue par sa mère et son compagnon. Sur d'autres photos envoyées à sa soeur, elle se montre en train de prendre de la drogue [nous ignorons la nature du (ou des) produit(s)].

Une nuit, Tina est arrêtée par deux officiers de police qui la trouvent dans la voiture d'un homme dans un état second. À ce moment-là, Tina est déjà signalée disparue. Pourtant les deux policiers (blancs) ne réagissent pas et la relâchent...
Quelques heures plus tard, on la trouve sans connaissance, dans une ruelle écartée.
Elle est emmenée dans un service social d'où elle s'enfuit.

Elle envoie un message à sa soeur pour Thelma et son mari, pour leur dire (en anglais) :
"Dis à momma et poppa que je les aime et qu'ils me manquent, mais je ne suis pas prête à rentrer à la maison".
Quand elle écrit "momma" et "poppa" c'est pour désigner sa grand-tante Thelma et son mari Joe qui l'ont élevée .
Quand elle parle de rentrer à la maison, cela signifie rentrer chez Thelma.

Le dix-sept août, on retrouve un corps dans la Rivière Rouge (Red River), la grande rivière qui traverse Winnipeg.
Ce corps est déjà très abîmé.
On finira par l'identifier grâce à un tatouage : des ailes d'anges sur le dos.
On situera la mort au 10 août. Ou peut-être le 9...

Cette fin tragique et les circonstances qui l'accompagnent - notamment la négligence des deux policiers qui ont laissé partir une jeune fille amérindienne signalée disparue - soulèvent une émotion considérable au Canada.

La police finira, environ un an après, par trouver quelqu'un sur qui pèsent de lourdes charges et qui est peut-être bien le meurtrier.

Mais Tina est morte, et combien d'autres amérindiennes ont été assassinées ou portées disparues !...
Au-delà du cas emblématique de Tina, il y a une réalité sociale.

Cette réalité, c'est celle du génocide culturel dont sont victimes les Amérindiens, un génocide culturel qui commence évidemment avec la conquête de l'Amérique par les blancs.

Cette réalité, c'est celle d'un racisme ordinaire qui continue de nos jours à s'exercer, quotidiennement, à l'encontre des peuples autochtones.

Mais laissons la parole aux Amérindiennes, laissons la parole à l'une de ces pauvres femmes qui subviennent à leurs besoins en vendant leur corps à Winnipeg :
"Nous sommes traitées sans respect, comme des sous-humains.
Les conducteurs qui passent nous lancent des oeufs dessus,
ils nous lancent même des pierres. Et ils nous disent :
'Vous, sales petites indiennes, disparaissez de ces rues' ".
La haine et le rejet à l'encontre de populations fragilisées qui ont au contraire besoin d'être soutenues.

Cet exemple n'est qu'un aperçu, bien sûr.
Les pauvres femmes et pauvres filles qui, pour une raison ou une autre, se retrouvent à la rue, sont en très grand danger. Et particulièrement si elles sont issues des peuples autochtones.

TINA FONTAINE (m)
Tina, malgré ses bonnes joues, était toute menue
d'où la remarque de Thelma :
Tina avait quinze ans mais en paraissait douze.


>> Au moment de sa disparition, Tina Fontaine était sous la garde des Services sociaux de l'État du Manitoba. Elle était logée dans un hôtel.
Peut-être des améliorations possibles dans ce secteur de l'aide sociale ?

Les Services sociaux n'auront pas protégé Tina d'un naufrage pourtant prévisible, tout comme ils n'auront pas apporté à sa mère l'aide thérapeutique nécessaire.
On peut suppose qu'à Winnipeg c'est juste comme ailleurs, les Services sociaux gèrent le quotidien comme ils peuvent sans avoir les moyens d'aider les pauvres à se construire un avenir. Il est bien difficile de remplacer une famille stable.

Tina, jeune Indienne ojibwé, n'aura pas tenu deux mois à Winnipeg. C'est une ville dure et il y a dans la ville de Winnipeg une des zones les plus dangereuses de toute l'Amérique du Nord (en rouge sur la carte ci-dessous).
Pour des Indiennes sans perspective d'avenir, issues de familles déstructurées, Winnipeg est une ville particulièrement dangereuse.

Winnipeg - En rouge la zone où les taux de vols et de meurtres sont très élevés

Les statistiques officielles canadiennes montrent que le taux d'infraction criminelles et le taux de meurtres sont très élevés dans l'État du Manitoba, et Winnipeg en est la capitale.
Les homicides et les vols sont pour la plupart perpétrés dans une certaine zone de Winnipeg, une zone au taux très élevé de vols et de meurtres, ce qui en fait l'une des zones les plus dangereuses d'Amérique du Nord d'après les statistiques de 2012.

(* Zone d'environ 54_000 habitants en 2007, en rouge sur la carte ci-dessus).
Bref, ça suffit pour le sujet, dans cet article notre préoccupation principale n'est pas d'ergoter et de comparer, année après année, les statistiques des différentes zones de taille comparables en Amérique du Nord. Mais ces données de cadrage, ces données objectives sont très utiles pour se repérer dans la réalité.

Redisons ce que les statistiques canadiennes mettent en évidence :

Au Canada, les peuples indigènes sont, plus que les autres catégories de la populations, victimes de violences et les femmes amérindiennes, en particulier, sont beaucoup plus que les femmes des autres catégories, victimes de viol, de meurtre et de disparitions inexpliquées.

On l'a vu plus haut avec le cas de Tina Fontaine, le peu de considération accordé aux Amérindiennes se retrouvent chez les intervenants à tous les niveaux, comme ces policiers qui ont laissé repartir Tina bien qu'elle ait été signalée disparue (missing).

Au plus haut niveau, celui du Premier ministre Harper (à l'époque du meurtre de Tina Fontaine), c'est le déni pur et simple. Alors, au-dessous...

Le déni personnifié, c'est M. Stephen Harper s'exprimant en 2014 à l'occasion du meurtre de Tina Fontaine : (je traduis de l'anglais)
"Chaque meurtre est un acte criminel individuel qui doit être étudié [comme tel] par la police et ils [ces meurtres] ne doivent pas être étudiés globalement comme s'il s'agissait d'une phénomène sociologique."
Bien entendu, personne ne peut prendre au sérieux un tel déni.
Bien entendu, il y a des Canadiens concernés, non-aborigènes, qui s'insurgent contre cette injustice chronique et soutiennent la lutte des Amérindiens pour leur dignité.

Le génocide culturel des amérindiens est une longue histoire.
Sa conséquence est le délitement des sociétés amérindiennes.
Ce délitement se manifeste au sein de ces sociétés par des phénomènes tristement classiques:
perte des liens familiaux et sociaux,
fugues, suicides (les suicides sont plus nombreux en pourcentage chez les Amérindiens),
alcoolisme, drogue et violence.
La propension à se faire du mal est un indicateur particulièrement inquiétant.

Attention, il ne faut pas  généraliser, il y a dans les communautés autochtones des foyers protecteurs et chaleureux comme celui de Thelma Favel, profondément atteinte par la disparition de Tina.

Thelma Favel, grand-tante de Tina Fontaine


Nous avons vu que Tina avait eu la chance d'être élevée par sa grand-tante Thelma - et son mari Joe -, des gens admirables.

Mais la violence contre son père (battu à mort) a déstabilisée la jeune Tina, on le serait à moins. Elle avait alors une douzaine d'années.
Et sa mère biologique n'était pas capable de s'occuper d'elle.

Tina, fragilisée, n'a pas su se protéger contre une violence qui s'exerce avec une grande facilité - avec beaucoup trop de facilité - à l'encontre des filles et femmes amérindiennes.
Tina n'a pas su se protéger. Son père lui-même n'avait pas pu le faire...

Chez les peuples indigènes du Canada, on perçoit tous les jours qu'on n'est pas pris au sérieux, y compris quand il s'agit de rechercher un disparu :
La police ne se presse pas pour rechercher des indices et au bout d'un moment, c'est trop tard.
"On vous tiendra au courant."
Et quand on nous téléphone, c'est pour nous dire :
"On s'occupe de l'affaire. On ne peut rien vous dire de plus".

La misère, ici, ce n'est pas exactement la pauvreté matérielle,
c'est la misère morale, l'absence de perspective de vie.
Pour une fille de 15 ans qui avait plein de qualités,
et qui aurait dû pouvoir construire sa vie.
[La misère est un thème déjà abordé dans ce blog, voir liste des tags].

Alors, amie lectrice, ami lecteur, que pouvons-nous faire, individuellement ?
Soutenir ceux qui luttent, et qui luttent d'abord contre l'indifférence.

Si vous venez au Canada, participez à des veillées pour les victimes amérindiennes.
Se recueillir à la mémoire des victimes est nécessaire.
Et puis on peut faire plus, pour les vivants.

(B) Agir pour les vivants

Plusieurs pistes à vous proposer (d'autres développements sont à venir, soit dans cet article, soit dans un petit livre numérique (epub) : à voir)

D'abord...

(1) Nouer contact avec les communautés amérindiennes

A priori, la meilleure idée me semble être de joindre la NWAC :
Native Women's Association of Canada,
en français AFAC, association des femmes autochtones du Canada.

Il y a sur le site de la NWAC une page dédiée aux personnes disparues :
une triste réalité.

En effet...
N'oubliez pas qu'avant et après Tina Fontaine, il y a eu beaucoup d'autres drames similaires...

Nous ne t'oublierons pas Tina, ni toi ni les autres victimes.
Mais après le recueillement, il faut s'occuper des vivants,
les protéger, et surtout les aider à s'aider eux-même (voir partie 3)
Et, nous l'avons vu, les Améridiens sont particulièrement exposés.

Si vous participez à cette prise de conscience, à ce mouvement,
tenez-moi au courant !
(Rubrique "Contactez l'auteur" en colonne de droite).

Ensuite...

(2) Faire évoluer l'environnement dans toutes ses composantes

Bien sûr il faut oeuvrer pour faire évoluer le contexte social, éducatif, culturel, économique. Afin d'ouvrir de véritables perspectives de vie pour les membres de ces communautés.
Cependant, même si ce type d'évolution se dessine, il prendra un certain temps.

Mais aussi...

(3) Aider chaque personne individuellement à mobiliser ses ressources intérieures

En ce domaine, toutes les interventions, toutes les relations d'aide, toutes les thérapies visent à répondre à une seule et même question :

Comment aider les personnes de cette communauté à s'aider elles-mêmes ?

Plus précisément :
Comment les aider à trouver en elles-mêmes les ressources intérieures nécessaires pour ne pas tomber la spirale infernale des addictions (drogue, alcool), de la prostitution et de la violence ?

Bien sûr, le contexte social joue, et il faut essayer de faire évoluer l'environnement.
Mais l'expérience montre que, souvent, l'environnement social et culturel évolue lentement.
Donc l'action qui aura le résultat le plus rapide, ce sera la relation d'aide qui permettra à ces personnes de s'aider elles-même, de trouver les ressources intérieures soit pour sortir (la mère de Tina), soit pour ne pas tomber (Tina) dans une spirale désastreuse.
Bien sûr c'est possible d'oeuvrer en ce sens.

Vous pouvez lire à ce sujet un passage du livre de Jay Haley et de sa femme Madeleine Richeport-Haley, titre* de la traduction française "D'un âge à l'autre" (sous-titre "Thérapie familiale directive et cycle de vie").
*Le titre original est plus explicite (mais moins vendeur?) : "Directive Family thérapy".

Alors... Explicitons.
Ce livre contient le texte de Haley, suivi par un appendice :
"Entretiens avec Jay Haley". L'intervieweur est...
soit un autre thérapeute, Mony Elkaïm, qui fut président de l'Association européenne de thérapie familiale de 1990 à 2001,
soit la femme de Jay Haley, Madeleine Richeport-Haley avec Margarita Montalvo, femme d'un autre thérapeute, Braulio Montalvo.
Page 257 de l'édition française, ces entretiens se penchent sur une période très intéressante de la vie professionnelle, et ces pages figurent sous le titre : "Former les pauvres".
Madeleine Richeport-Haley interroge sur cette période Jay Haley et Braulio Montalvo (autre thérapeute), en présente de Margarita, la femme de Braulio.

Margarita Montalvo est allé trouver Jay Haley à Palo Alto. (Si vous ne connaissez par "l'école de Palo Alto" en psychologie, faites une recherche pour situer ce courant de recherche en psychologie.)
À l'époque, Jay Haley venait de terminer un livre "Stratégies de la thérapie". (Rappel : Jay Haley a étudié pendant dix-sept ans le travail de Milton Erickson.)

Jay Haley et Braulio Montalvo ont passé une dizaine d'années à la "Child Guidance Clinic" de Philadelphie, dans le cadre d'un programme de formation aux métiers de la santé mentale.
L'originalité de ce programme, c'est qu'il s'agissait de former les membres de diverses communautés, et quand on emploie ce terme aux États-Unis, c'est typiquement pour parler de communautés minoritaires et défavorisées (et non pas de la communauté dominante, les WASP).

Quleques citations pour vous donner envie de lire ce livre :

"Montalvo : Le plus surprenant, c'est la vitesse avec laquelle la plupart pigeaient. (...)
Haley : "(...) Paul Riley, remarquable joueur de billard."
Richeport-Haley : " (...) Qui était Paul Riley ?"
Montalvo : "C'était un gars du coin qui n'avait pas étudié la santé mentale à l'université.
Haley : "C'était l'un des meilleurs thérapeutes que je connaissais.  (...)
On ne leur enseignait pas des choses qu'ils devaient désapprendre par la suite."

(...)
Haley : "Pour une raison ou une autre, Sal [ndlr: Minuchin] n'avait pas reçu une subvention pour former des mères, mais pour que les bacheliers apprennent à traiter les familles."

(...)
Montalvo : "C'est stupéfiant. (...) 90% des personnes que nous avons formées ont travaillé dans le domaine de la santé mentale."

(...)
Haley : "Nous encouragions (...) ceux qui n'avaient pas le bac à le passer par correspondance et à faire des études universitaires (...). Comme ils n'avaient aucun diplôme, certains emplois leur étaient très difficilement accessibles."

(...)
Haley : "Pour découvrir si ces thérapeutes faisaient aussi bien ou non que le personnel d'encadrement, j'ai posé deux questions très simples à 200 familles traitées dans notre clinique : "En quoi consiste le problème ? " au début, et "Le problème a-t-il été résolu", pour finir. En fait les pauvres s'étaient mieux débrouillés que le personnel d'encadrement mais ils étaient mieux* formés et supervisés."
* Formés et supervisés par Jay Haley et Braulio Montalvo.

"D'un âge à l'autre, thérapie familiale directive et cycle de vie" est donc un livre que je recommande.

Et quand je suis confronté à la destinée tragique de Tina Fontaine et de son père, et plus généralement des peuples autochtones d'Amérique du Nord, je fais immédiatement le lien :
il y a quelque chose à faire en ce sens, former des gens de ces communautés.
Bien sûr, on peut aussi former des gens à l'intérieur d'autres communautés.

Mais les statistiques canadiennes le montrent : les communautés des peuples autochtones sont particulièrement fragiles, particulièrement à risque, beaucoup plus exposées à la violence que le reste de la population.

Après, il faut trouver les fonds et engager les bons formateurs.
Mais ça doit être possible, bon sang !
N'es-tu pas d'accord, amie lectrice, ami lecteur ?
Peux-tu aussi agir en ce sens ?

Si tu es canadien(ne), tu es bien placé(e) par agir.
Si tu habites un autre pays, demande aux statistiques quelle est la communauté la plus ostracisée, la plus rejetée dans ton pays. Partout il y des choses à faire.

Plus généralement, le principe de former les pauvre aux métiers de la santé mentale est une idée lumineuse. Normalement la thérapie stratégique est chère parce qu'elle fait appel à un professionnel lourdement et chèrement formé.
Le tout est de trouver des subventions pour monter des programmes tels que celui décrit plus haut. Il faut aussi, bien sûr, trouver les bonnes personnes (du type de Jay Haley et Braulio Montalvo) pour assurer la formation et la supervision.

Ah oui, quand même, une dernière chose et pas la moindre :
amie lectrice, ami lecteur, avant de te lancer dans de grands projets pour les autres,
commence par t'aider toi-même,
et si tu n'y arrives, cherche de l'aide pour toi-même, en choisissant avec attention des professionnels qualifiés, expérimentés et secourables.


Amicalement,

K.

Article co-écrit par Khuur et l'auteur de
"Rencontre avec la Chine des Mingong" (voir rubrique Liens en colonne de droite)

2016-10-22 V7
2016-10-16 V6
2016-10-15 V5
2016-10-14 V4
2016-09-16 V3
2016-09-13 V2
2016-09-03 V1

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22 mai 2016

JE NE VEUX ENTENDRE AUCUNE PAROLE VAINE - eBook - Récit de voyage - Auteur contemporain

Salut !

Sur ce blog, je vous ai parlé d'oeuvres et d'auteurs comme Jane Austen, Charlotte Brontë, Dostoïevsky, Thomas Hardy, Charles Péguy, Albert Camus, Jules Supervielle, Maurice Fombeure...

Tous ces auteurs ne survivent que par leur oeuvre.

Mais il existe aussi des auteurs vivants, et c'est l'oeuvre de l'un d'un auteur vivant que je vous présente dans ce post.

Je connais l'auteur... mais seulement par email

Il m'a précisé :

"Cet eBook est disponible sur le site www.kobo.com,
où on peut lire le début.
"

J'ai donc lu le début sur kobo, puis
j'ai acheté le livre :
j'ai aimé.

Voir lien direct en colonne de droite.


Bonne lecture

K.




31 mars 2016

Sur la vie de Dostoïevski : série TV en streaming, version originale ! Достоевский (Россия, 2010)


Amie lectrice, ami lecteur, si tu aimes l'oeuvre de ce grand créateur que fut Dostoïevski, voici l'occasion de découvrir en version originale une série TV russe sur la vie de Dostoïevski.

En 2015, cette série fut diffusée en version française sur Arte ;
ses sept épisodes ont été commentés sur ce blog,
voici les liens vers ces articles :
Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 1, 2 & 3), une série commentée ici...
Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 4 et 5), une série commentée ici...
Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 6 et 7), une série commentée ici...

Cette version française n'est plus accessible.
Mais tu peux visionner en streaming cette série TV dans sa version originale.
Oui, en russe.
Un réalisateur russe filmant, en Russie, des acteurs russes interprétant la biographie d'un grand auteur russe.
L'occasion d'écouter la musique de la langue russe, même si tu ne la comprends pas.

La vie de Dostoïevski est bien connue :
si tu ne parles pas russe, tu peux lire des indications biographiques sur Dostoïevski avant de visionner cette série, pour avoir des repères.
Mais si tu es une fervente lectrice, un fervent lecteur de Dostoïevski, tu dois déjà connaître par coeur ces repères biographiques qui figurent dans toute édition correcte d'un de ses romans : en général à la fin du livre.
Et sinon, recherche internet...

Ça y est ? Tu as ces repères biographiques bien en tête ?
Les principaux épisodes de sa vie ?
Tu sais qui a compté dans son existence ?

Alors tu peux avancer.
Pour celle, pour celui pour qui la lecture des romans de Dostoïevski a été une expérience inoubliable et incomparable - que dis-je, pas une expérience, un moment de vie -,
voici un lien vers la page de cette série russe sur la vie Dostoïevski.

N'aie pas peur de ce lien en cyrillique, je vais t'expliquer, c'est très simple...
En cyrillique, les chiffres s'écrivent comme en occident.

Donc sur la page qui va s'afficher (copie d'écran ci-dessous),
il te suffit de repérer dans les différents liens (encerclés en rouge) les chiffres 1 à 7 :
le chiffre, c'est le numéro de l'épisode.
Sauvé par les maths* ! (si tu ne lis pas le russe)
*Au fait, qu'est-ce qu'il a fait comme école, Dostoïevski ?
Tu ne sais plus ? Alors il faut relire les indications biographiques.
Le chevron (encerclé en rouge lui aussi) permet de progresser vers les épisodes suivants, notamment l'épisode 4 (qui est le seul dont le lien n'apparaît pas sur la page d'accueil^^).

DOSTOÏEVSKI - SÉRIE RUSSE - 00 PAGE D'ACCUEIL


Attention, c'est très difficile ;-)
Sur la page d'accueil, repérer le chiffre 1,
clic droit sur le lien vers le 1er épisode, ouvrir dans un nouvel onglet
et c'est parti pour le flux ! En plein écran bien sûr...

Voici ce lien vers Dostoïevski, en russe :

Достоевский


Au plaisir de vous lire, très cher Фёдор Михайлович (Fédor Mikhaïlovitch)...

K.
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Complément


Au fait, si tu as vu le film "Goodbye Lenin !",
tu te souviens sûrement du personnage de Lara,
la jeune élève-infirmière russe, personnage interprété par une excellente comédienne russe*,
Чулпан  Хаматова (Tchoulpan Khamatova).
*Cette grande comédienne est bien de nationalité russe, mais d'ethnie Tatar, c'est une fille de Kazan (capitale de la République du Tatarstan, sur le bassin de la Volga ; le russe et le tatar sont les deux langues officielles de cette République ; le tatar fait partie des langues turques, elles-mêmes incluses dans les langues altaïques qui comprennent aussi les langues mongoles et toungouses).

Pour cette série russe sur la vie de Doistoïevski, Tchoulpan Khamatova était un peu plus âgée que lors du tournage de "Goodbye Lenin!", cette excellente comédienne (qui a beaucoup joué au théâtre) joue Marie Issaïevna (la première épouse de Dostoïevski) car ell n'avait plus l'âge de jouer les rôles d'Apollinaria Souslova (sombre liaison pour Dostoïevski) ni Anna Snitkina (qui fut sa lumineuse et précieuse seconde épouse, après avoir été l'attentive sténographe de Dostoïevski pendant qu'il dictait "Le Joueur" en trois semaines, sous la contrainte d'un inique contrat avec l'infâme Stellovski, tout cela est d'ailleur raconté dans la série).

Les comédiens de cette série sont tous bons, d'ailleurs. Pour plus de détails et pour un commentaire critique, lire les trois articles dont les liens figurent au début de ce post.

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10 novembre 2015

Arts plastiques - L'Allée de Middleharnis (Hobbema)

 Version relue et corrigée

L_All_e_de_Middelharnis__1689____Meindert_HobbemaL'Allée de Middleharnis (1689) par Meindert HOBBEMA
[Londres, National Gallery]


Sommaire
1/4 Introduction
2/4 L'Allée de Middleharnis : un commentaire
3/4 Rappel historique (où l'on parle, entre autres, de Spinoza)
4/4 Autres tableaux de Meindert Hobbema

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1/4 Introduction

Dans ce blog, je vous ai déjà parlé de peinture, et notamment d'un fameux tableau de Vermeer de Delft, la « Femme en bleu lisant une lettre » : j'ai essayé de vous faire partager ce que je ressens devant ce tableau.

J'ai également mis à disposition quelques exemples de peinture chinoise classique, vaste et passionnant sujet dont je reparlerai, si Dieu me prête vie, selon l'expression consacrée.

Aujourd'hui je vais évoquer un tableau qui m'a accompagné depuis l'enfance :
« L'Allée de Middleharnis » (1689) de Meindert Hobbema.

Il y a un point commun entre Vermeer de Delft (1632-1675) et Meindert Hobbema (1638-1709) : ce sont deux peintres hollandais du XVIIe siècle.
Proches dans le temps, ces deux peintres diffèrent par leurs sujets de prédilection : pour Vermeer, des intérieurs et pour Hobbema, des extérieurs.

Bien sûr, on doit à Vermeer une célèbre « Vue de Delft », mais c'est un paysage urbain.
Tandis que les extérieurs d'Hobbema nous emmènent toujours dans la campagne hollandaise, à l'instar des tableaux de Jacob Van Ruysael dont Hobbema fut l'élève puis l'ami. Jacob Van Ruysdael fut d'ailleurs le témoin de mariage de Hobbema.

L'enfance de Hobbema (né en 1638) fut marquée par le décès de sa mère.
Il fut placé dans un orphelinat.
De 1655 à 1657, il suit l'enseignement du peintre Jacob Van Ruysdael qui vient de s'installer à Amsterdam.

Devenus amis, Jacob van Ruysdael et Hobbema sortent d'Amsterdam pour aller visiter l'est des Provinces Unies, ils y observent les paysages (ils sont tous deux peintres de paysages).
Hobbema y remarque notamment des moulins à eau, qui deviendront son thème de prédilection. Paysage champêtre avec ciel, arbres, constructions, rivière ou plutôt, au sortir du moulin, plan d'eau et souvent chute d'eau : c'est un beau sujet pour un peintre, mais ce n'est pas un sujet facile, le peintre doit pouvoir rendre la lumière qui baigne le paysage, et l'eau est difficile à peindre.
Hobbema s'en tire plus que bien, son rendu de la lumière est vraiment très très beau : c'est un maître de la peinture de paysage.

À l'époque, presque tous les peintres sont des peintres de genre, autrement dit, ils sont spécialisés : Franz Hals dans le portrait, Pieter Claesz dans les natures mortes, Willem Van de Velde le jeune dans les marines, Paulus Potter est spécialisé dans les animaux et tout spécialement les bovins, ce qui d'ailleurs en dit long sur l'importance de l'élevage des bovins dans les Provinces Unies. Etc.
Rembrandt, lui, n'est pas un peintre de genre, ses thèmes sont nombreux : portraits (y compris portrait de groupe) et autoportraits, scènes bibliques et historiques, paysages, scènes intimistes...

La vieillesse de Hobbema fut très difficile, il vécut ses dernières années dans une grande pauvreté et mourut seul à soixante et onze ans. (Je rappelle qu'à l'époque il n'y avait pas d'État-providence, pas de système de retraite, pas d'assurance-maladie...).

Hobbema est enterré dans la Westerkerk ("église de l'ouest") située à Amsterdam.
C'est aussi dans cette église qu'est enterré Rembrandt.

Le XVIIe siècle fut un époque très féconde pour la peinture néerlandaise, puisque c'est à la fois le siècle de Rembrandt (1606-1669), de Carel Fabritius (1622-1654) et de Jacob Van Ruysdaël (1628-1682), de Vermeer de Delft (1632-1675) et de Meindert Hobbema (1638-1709).
Et de beaucoup d'autres peintres encore !...

De façon plus générale, la période de 1584 à 1702* est appelée « le siècle d'or » néerlandais, ceci concerne les « Provinces Unies », c'est-à-dire les sept provinces ayant déclaré leur indépendance*, parmi les « Dix-sept provinces » initalement détenues par Philippe II, roi d'Espagne (entre autres...), fils aîné et successeur de Charles Quint. Pour les Provinces Unies, liberté de culte et d'opinion, développement du savoir (Université de Leyde), puissance commerciale, empire colonial constituent les piliers de cette période.
Ce siècle d'or néerlandais est particulièrement remarquable par sa floraison intellectuelle et artistique.

* Voir le « Rappel historique » : partie 3/4.

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2/4 L'Allée de Middleharnis : un commentaire

Comme l'indique le titre du tableau, son sujet principal c'est cette allée, cette route qui part droit devant le spectateur, qui a l'impression qu'il n'a qu'un pas ou deux à faire pour entrer dans ce tableau et marcher sur cette Allée de Middleharnis.

Je vais évoquer plusieurs aspects du tableau et, à la fin, je reviendrai sur l'allée elle-même.

Le paysage qui nous est montré dans le tableau est un paysage façonné par l'homme.
C'est l'homme qui a tracé cette allée toute droite, c'est l'homme qui a planté, à intervalles réguliers le long de cette allée, ces arbres qu'il a émondés.
Regardons du plus proche au plus lointain.

C'est l'homme qui a tracé le petit sentier rectiligne qui part sur la gauche, perpendiculairement à l'allée.
C'est l'homme qui a tracé cette autre allée rectiligne qui part un peu plus loin, sur la droite, perpendiculairement à l'allée de Middleharnis.
Le champ de droite, c'est l'homme qui l'a créé, en délimitant un rectangle, en creusant un fossé tout autour du champ pour faciliter l'écoulement de l'eau. C'est l'homme qui dans ce champ a planté des légumes avec soin et avec une régularité géométrique. D'ailleurs, on y voit quelqu'un en train de travailler.

Au-delà de ce champ jardiné avec une savante précision, au-delà des fossés et des allées qui se croisent, une maison, ou plutôt plusieurs bâtiments, manifestement édifiés et entretenus avec soin. À proximité de ces bâtiments, deux femmes debout ont un échange qu'on imagine relativement bref, étant donné tout ce qu'il y a faire, dans ce paysage où des mains humaines façonnent et entretiennent tout.

Si l'on oriente son regard sur la gauche de l'allée de Middleharnis, on y voit des arbustes et surtout des bosquets d'arbres, de part et d'autre du petit sentier. Mais on n'éprouve pas vraiment le sentiment d'une nature sauvage : c'est trop petit et trop délimité. Peut-être s'agit-il d'arbres dont les fruits (glands etc) sont utilisés pour nourrir... des cochons par exemple. Et il faut bien laisser de tels bosquets pour permettre à une faune sauvage de substister. Une faune sauvage a priori réduite à quelques lapins et quelques oiseaux qu'on pourra chasser, en dehors de la période d'accouplement et de reproduction.

Le côté gauche de l'Allée de Middleharnis est bordé par un fossé qu'on voit mieux au-delà du petit sentier. C'est toujours la main de l'homme qui modèle ce paysage et maîtrise l'écoulement des eaux.

Le terrain au-delà du petit sentier est bordée d'une petite haie rectiligne, soigneusement entretenue.

Sur l'Allée de Middleharnis, a peu près au croisement avec l'allée qui part sur la droite, marche un homme qui se dirige droit vers le spectateur. Visiblement ce n'est pas un paysan, c'est plutôt un bourgeois, bien habillé, chapeauté, qui se promène avec son chien.
Derrière lui, mais bien plus loin, quelques silhouettes et au-delà, une bourgade d'où émerge un imposant clocher, et il y en a peut-être un autre, plus loin.
Ce bourg – peut-être une petite ville, pour l'époque -, c'est la manifestation par excellence de l'activité humaine, puisque c'est un paysage artificialisé, un paysage de maisons construites et d'arbres plantés, un paysage de routes et de bâtiments.

L'allée de Middleharnis relie les terres les plus proches du regard au pays, au monde tout entier via un réseau de voies de communication.
Et on voit sur cette allée les longues traces laissées par les roues des carrioles, charrettes, diligences...

Les personnages visibles sur le tableau sont de taille réduite, ils sont relativement loin de nous : c'est vraiment un tableau de paysage.
D'ailleurs, en général, les personnages des tableaux de Hobbema n'étaient pas peints par Hobbema lui-même. Malgré tout, ces personnages ont leur importance, chacun est révélateur.

Il est normal qu'on « rencontre » des personnages dans un tel paysage puisque tout y est façonné par l'homme, tout y demande un entretien régulier, y compris les arbres émondés qui bordent l'allée de Middleharnis.

De tous les personnages du tableau, le bourgeois qui se promène avec assurance est le seul qui nous fait face. C'est un bourgeois comme celui qui achètera ce tableau et qui se reconnaîtra en ce personnage.
Nous, spectateurs étrangers, qui sommes invités à entrer dans le tableau et à marcher sur l'allée en direction de ce personnage, nous sentons que nous sommes en territoire inconnu, socialement, et nous comprenons que, quand nous allons arriver à la hauteur de ce bourgeois, nous allons lui laisser le passage sans le contrarier : si nous nous mettons face à lui, il marchera droit sur nous avec la plus grande assurance et... accompagné de son chien.
Dostoïevski a écrit des choses là-dessus, dans un de ces développements* dont il a le secret ; la différence est dans les scènes évoquées par le narrateur qui se déroulent en milieu urbain. Mais l'ambiance du texte de Dostoïevski est toute autre que l'ambiance de ce tableau, donc nous n'insistons pas.
 * De mémoire, il s'agit du texte intitulé en traduction française "Le sous-sol. Mémoires écrits dans un souterrain.", enfin le titre français dépend de la traduction.
Le titre russe est "Записки из подполья" (Carnets du sous-sol).

Ce personnage qui nous fait face, ce bourgeois, est un citadin. Au sein de cette campagne située à proximité d'une petite ville, ce bourgeois nous rappelle une réalité socio-politique des Provinces Unies : même si on est dans la République des Provinces Unies, le pouvoir est exercé par une oligarchie urbaine, c'est-à-dire par un petit nombre de familles riches habitant les villes et détenant le pouvoir économique et le pouvoir politique.
Cette oligarchie urbaine administre à distance les campagnes.

Dans ce tableau, nous nous trouvons face à une nature où les hommes – et donc la société – sont omniprésents. Ces gens vivent proches les uns des autres, ils sont reliés au reste du monde où certains s'aventurent aussi loin que possible, ces hollandais commercent, échangent et sont bien organisés.
Toute une organisation et toute une hiérarchie se mettent en place, inévitablement, pour produire un monde aussi aussi efficient et ça n'est pas péjoratif. Au contraire, on est impressionné par cette activité industrieuse qui est d'ailleurs la source de la réussite des Provinces Unies (voir 3/4 rappel historique).
En même temps, c'est un monde paisible. On évite de faire la guerre, on préfère le commerce, la culture, le jardinage, l'échange, et... la production artistique comme en témoigne le tableau...

Il faut absolument parler de la perspective et du ciel.
En observant les lignes de fuite, les toits de la maison sur la droite, et la position – par rapport à l'horizon – du visage de l'homme qui s'avance vers nous, on comprend que le spectateur est placé un peu en hauteur, comme s'il était juché sur une carriole. Pas très haut, mais un peu surélevé par rapport à un piéton. Ceci permet une vue un peu meilleure du paysage.

Une immense partie du tableau est occupé par le ciel, peint avec une grande finesse et beaucoup de sensibilité. Ce formidable espace laissé au ciel permet au spectateur de respirer.
L'activité industrieuse qui marque le paysage ne nous étouffe pas, grâce à ce ciel immense traversé par des nuages, et aussi, dans le coin supérieur gauche, par des oiseaux, très haut. Peut-être des corbeaux, car il ne s'agit pas d'un vol de migrateurs.
Le ciel est nuageux, ce qui produit au sol des alternances d'ombres et de lumière, rendues avec beaucoup de naturel, sans aucune dramatisation.
Sur la droite, on voit les bords d'un nuage s'illuminer sous le soleil.
Oui, il y a un grand sens de la lumière dans ce tableau.
Rien dans le tableau ne le tire vers le dramatique ou le pittoresque. Il faut beaucoup de tact et de doigté, beaucoup de retenue donc beaucoup de sensibilité pour insuffler tant de grâce dans un paysage qui n'a rien d'extraordinaire, sinon la sensibilité du peintre, l'activité des êtres qui l'habitent, leur sens des responsabilités, leur façon d'être - active mais paisible.
Quelle capacité d'émerveillement, quel sens de la nature, quel amour il faut porter en soi pour donner à voir dans un paysage ordinaire toute la beauté du monde : merci, Hobbema.

Et l'allée elle-même ? Je n'ai pas fini de traiter l'allée, loin de là.
Comme toute les routes, l'allée de Middlehanis est une métaphore.
Nous sommes tous sur les chemins du "long voyage", face à une route inconnue, face à des bifurcations, autrement dit face à des choix de vie.

Devant nous s'étend une route.
Allons-nous rester là où nous sommes ? Non bien sûr, nous n'allons pas nous arrêter brusquement ici, à moins d'être foudroyé.

Quel chemin allons-nous prendre ?

Si nous suivons tout droit l'allée de Middleharnis, elle nous mènera vers la ville, c'est-à-dire vers un lieu où la vie sociale est intense et les possibilités multiples. Ce n'est peut-être qu'une petite ville, mais à partir de cette ville, d'autres routes mènent vers des villes plus grandes, vers des ports et vers d'autres continents. À la ville, nous pourrons apprendre un métier et, plus tard nous pourrons même en apprendre un autre et encore un autre. Nous pourrons rencontrer beaucoup de monde, beaucoup de gens très différents. Nous pourrons devenir très savant, si nous aimons l'étude, ou bien très riche si tel est notre désir. Et si nous ne sommes pas très ambitieux, nous aurons aussi la possibilité, en ville, de décrocher un travail qui nous convienne.

Peut-être avons-nous envie de rester à distance de la ville, alors nous pourrons prendre l'autre allée, celle qui part sur la droite et qui se dirige – peut-être – vers une autre zone rurale, où un sentier plus étroit aboutit à une ferme isolée où nous pourrions vivre loin de l'agitation humaine, mais aussi loin des apprentissages et des échanges que nous offrent les villes.
L'Université de Leyde n'est pas à la campagne, les grands marchands et banquiers non plus. À la campagne, nous devrons compter bien davantage sur nous-même, et il vaudra mieux que nous entretenions de bonnes relations avec nos rares voisins.

Et puis, peut-être voudrons-nous aller sur le petit sentier qui part sur la gauche. Au Pays-Bas, nous n'irons pas bien loin sur un tel chemin. Peut-être jusqu'à un champ ou jusqu'à une prairie, d'où nous verrions encore des bâtiments, et nous resterions toujours dans un paysage entièrement façonné par l'homme.

Mais, ailleurs - dans un autre pays - , un tel chemin nous mènerait peut-être vers une forêt profonde et immense où nous pourrions nous perdre loin des hommes, si nous n'avons envie ni des villes ni des campagnes tracées au cordeau. Si tel est notre choix, cela peut vouloir dire que nous voudrions fuir toute vie sociale.
Prenons un exemple, à notre époque. Il y a vingt ans disparaissait sans laisser de trace un jeune psychiatre espagnol de 26 ans, dépressif. Personne ne l'a revu jusqu'à ce que des promeneurs croisent, dans une forêt touffue d'Italie, un homme barbu qui leur a montré son passeport et leur a dit que, désormais, il ne pourrait plus vivre en cet endroit... Vers quel endroit encore plus reculé cet homme s'est-il dirigé pour vivre loin des autres humains ?

Nous sommes tous jetés sur les chemins du long voyage.
Nous sommes tous face à des choix.

L'Allée de Middleharnis nous présente un monde où la présence de l'homme est partout : dans la ville, dans la campagne, partout.
Le savoir, le pouvoir, la diversité des métiers, la diversité des relations sociales sont dans la ville qui, de loin, administre la campagne.

Le monde tout entier est maillé par la présence humaine et si nous rêvons d'y échapper, cela en dit long sur la vivacité de nos craintes, sur la profondeur de nos blessures.

Il existe aujourd'hui des routes d'un autre genre que celle peinte par Hobbema : il existe des réseaux de communication où nous pouvons poster des messages et des images.
Nous pouvons ainsi communiquer avec d'autres tout en étant physiquement lointain.
Nous pouvons par exemple habiter à l'étranger tout en continuant à communiquer (à distance) avec ceux qui parlent notre langue.

Mais rien, bien sûr, ne peut remplacer les véritables rencontres, avec des êtres dont nous pouvons à la fois entendre la voix et ses mille et une inflexions, le visage et ses mille et une variations, le corps et la façon qu'il a de se tenir et de se mouvoir.
Les rencontres dans la vraie vie nous permettent de percevoir mille et une subtilités qui sont totalement absentes des modes de communication à distance.

Alors, un jour, peut-être, nous sortirons à nouveau.
Nous nous avancerons sur l'Allée et nous croiserons différentes personnes, nous travaillerons ici, là nous nous distrairons, nous passerons par telle route et par tel sentier, nous verrons les êtres rencontrés tour à tour s'illuminer ou s'assombrir comme le ciel du tableau d'Hobbema, et eux-mêmes nous verront nous illuminer ou nous assombrir.
Car chaque être est lui-même un paysage changeant, un paysage incessamment changeant tout au long du jour.

Je précise que le commentaire qui précède n'est que le commentaire du moment. D'ailleurs, il a été écrit en deux fois, à quelques jours d'intervalle, et il s'agit donc de deux commentairs juxtaposés. Selon le moment, j'ai eu des choses différentes à dire sur ce tableau.
Si j'écrivais sur ce tableau un autre jour, c'est un troisième commentaire que je rédigerais.
Et chaque spectateur de ce tableau de Hobbema fera ses propres commentaires.


Après la partie 3/4 Rappel historique, vous trouverez en 4/4 d'autres tableaux de Hobbema, sans commentaire.


3/4 Rappel historique

Jusqu'au XVIe siècle, « Pays-Bas » désignait un territoire qui comprenait en gros les Pays-Bas actuels, mais aussi la Belgique actuelle et, dans le France actuelle, le département du Nord et une partie de la région picarde.
Divers fiefs (au sens féodal du terme) étaient passés sous l'autorité des Ducs de Bourgogne (maison des Valois) pour constituer cet ensemble assez vaste qu'on appelle les Pays-Bas bourguignons.

Charles de Bourgogne, dit Charles le Téméraire, fut le quatrième et dernier Duc de Bourgogne, de la maison des Capétiens-Valois.
Il meurt lors d'une bataille, en 1477. Louis XI, son ennemi de longue date, se jette sur la Bourgogne, la Picardie et le comté de Boulogne.

Charles le Téméraire avait été marié trois fois.
Sa deuxième épouse, Isabelle de Bourbon, avait donné naissance en 1457 à l'unique enfant de Charles : Marie de Bourgogne, qui est donc l'unique héritière de Charles.
Quand Charles de Bourgogne meurt, sa fille n'a pas encore vingt ans.
Marie de Bourgogne épouse un Habsbourg : l'archiduc Maximilien d'Autriche. C'est ainsi que les Pays-Bas bourguignons deviennent possession de la maison des Habsbourg.

À vrai dire, le mariage en 1477 de Marie de Bourgogne et de Maximilien d'Autriche était un mariage par procuration. Le mariage est célébré l'année suivante à Gand.
Ce fut une union heureuse d'où naquirent trois enfants, dont deux survécurent : Philippe et Marguerite.
Philippe a quatre ans lorsque sa mère Marie meurt accidentellement, d'une chute de cheval pendant une chasse au faucon. Il hérite – en théorie – des possessions que sa mère a elle-même héritée de Charles de Bourgogne (Le Téméraire). En pratique, le traité d'Arras (1482) avalise la possession
par Louis XI des terres dont il s'est emparé à la mort de Charles de Bourgogne.
[La succession de Charles le Téméraire est complexe, on ne la détaillera pas ici.]

En 1496, à 18 ans, Philippe de Habsbourg épouse Jeanne d'Aragon, fille de Ferdinand II d'Aragon et d'Isabelle 1ère de Castille. Ce mariage à visée politique deviendra une union heureuse. Philippe et Jeanne auront six enfants, dont un certain Charles (1500-1558) qui deviendra roi d'Espagne et même empereur, sous le nom de Charles Quint.

Et nous voici encore une fois aux Pays-Bas. Car Charles Quint est né à Gand, dans le comté de Flandre, partie intégrante du Pays-Bas des Habsbourg qui sont constitués, en partie, de ce qui reste des ex-Pays-Bas bourguignons.

Un point très important : par la « Pragmatique Sanction » (1549), Charles Quint fait des Pays-Bas - ou plutôt des « Dix-sept provinces » - un État, une entité distincte aussi bien de la France que du Saint Empire Romain Germanique. Bien que liées aux autres territoires détenus par les Habsbourg, les « Dix-sept provinces » constituent une sorte de confédération qui a une existence juridique propre au regard du droit international.
Ces « Dix-sept provinces »  comprennent des territoires issus de l'héritage Bourguignon, auquel Charles Quint a ajouté le duché de Gueldre, le comté de Zutphen et les seigneuries d'Utrecht, d'Overijseel et de Groningue*. (* Groningen, en néerlandais).
Dès cette époque, les « Dix-sept provinces » sont une région très florissante aussi sur le plan culturel que sur le plan économique. Concrètement, les « Dix-Sept Provinces » fournissent à Charles Quint une bonne partie des revenus de son Empire ! C'est donc un territoire extrêmement important.

À l'automne 1555, Charles Quint abdique sa souveraineté sur ses possessions non autrichiennes (dont les « Dix-Sept provinces) en faveur de son fils aîné, Philippe.
En janvier 1556, Charles Quint transmet aussi la couronne d'Espagne à Philippe.
Philippe (1527-1598) devient roi sous le nom de Philippe II.
Le prince Philippe est né et a été élevé en Espagne, il est catholique.
En 1549 il vient au Pays-Bas où il résidera quelque temps.

Mais une fois parti des Pays-Bas, Philippe n'y reviendra pas. Or, en 1581, sept provinces du nord (des Pays-Bas) se soulèvent contre le pouvoir de Philippe II et déclarent leur indépendance.
On peut gloser sur les causes de cette sécession : hostilité de ces riches provinces périphériques vis à vis d'une autorité centrale mal acceptée, influence grandissante de la Réforme se transformant en opposition à un pouvoir central d'obédience catholique.
Toujours est-il que ce soulèvement d'un riche territoire de l'Empire ne peut qu'être coimbattu par Philippe II. C'est ainsi que débute la « Guerre de quatre-vingts ans » (1581-1648), entrecoupée d'une trêve de douze ans (1609-1621).

Marquant la fin de ce long conflit, le traité de Münster entérine l'indépendance des sept provinces sécessionnistes, qui ont pris le nom de « Provinces Unies ».
Voici ces sept provinces :
- la province de Hollande,
- la province de Zélande,
- la province d'Overijssel,
- la province de Frise,
- Groningue, anciennes seigneuries de la ville et des Ommelanden,
- la province de Gueldre (partie de l'ancien duché de Gueldre),
- la province d'Utrecht.

Ces sept « Provinces Unies » forment une sorte de république fédérale, avec un pouvoir central très limité : le pouvoir effectif se trouve dans les Provinces, chacune jalouse de ses prérogatives.
Ceci dit, il en existe une dont le poids économique et politique est prépondérant : la province de Hollande.

Le « siècle d'or » néerlandais (1584-1702) fut quand même une période compliquée, sur le plan politique.

Dans la République des Provinces Unies, la souveraineté est exercée par les « États généraux des Provinces Unies des Pays-Bas », composés d'une délégation par province.
Il y a un problème d'équilibre entre d'une part les fonctions civiles, représentées par les Provinces et leurs « pensionnaires » et d'autre part les fonctions militaires, représentées par les stathouders.
La maison de Nassau (dont le représentant le plus connu est Guillaume d'Orange) s'efforçait de placer ses membres aux fonctions de stathouder dans chacune des provinces.
Et par exemple, en 1595 toutes les provinces auront un stathouder issu de la maison d'Orange-Nassau.

Aux Orangistes (partisans de la maison d'Orange-Nassau) et aux calvinistes (parti religieux) s'opposait un parti bourgeois totalement défavorable à la dérive monarchique et centralisatrice impulsée par la maison d'Orange-Nassau. C'est ce parti bourgois qui va gourverner les Provinces Unies de 1650 à 1672, une période libérale, très florissante sur le plan intellectuel.

La figure centrale de cette période est Johan de Witt. Né en 1625 dans une famille de la grande bourgeoisie néerlandaise, Johann de Witt étudie le droit à l'Université de Leyde et il pratique aussi les mathématiques. Le pensionnaire de la Hollande – la province la plus importante des Provinces Unis – était l'interlocuteur des puissances étrangères.
Devenu « Grand-pensionnaire » de la province de Hollande en 1650, Johann de Witt fut le membre le plus influent du gouvernement des Provinces Unies, qu'il dirigea de fait.
En 1667, par un édit, il abolit le stathouderat en Hollande (la province la plus importante).

En 1672, Louis XIV envahit les Pays-Bas. Le peuple devient hostile à Johan de Witt : lui et son frère sont massacrés par une « milice citoyenne » (schutterij) constituée de pro-Orangistes.

Guillaume III d'Orange-Nassau (né en 1650) devient, en 1672, à moins de 22 ans*, stathouder des provinces de Hollande, de Zélande, d'Utrecht, de Gueldre et d'Overijssel.
* Nous disions dérive monarchique...

Non seulement Guillaume s'opposa aux poursuites contre les responsables de la conspiration ayant abouti à l'assassinat des frères de Witt, mais de surcroît Guillaume récompensa ces responsables, soit avec de l'argent, soit en les nommant à des postes élevés.

En 1672, l'assassinat de Johan de Witt et la mainmise de Guillaume d'Orange sur les Provinces Unies sonne le glas d'une période républicaine favorable à la liberté d'expression.

Cette période avait été un temps de liberté de culte et de liberté de conscience, une liberté appréciée notamment par le philosophe Spinoza (1632-1677) qui est une des grandes figures de ce « siècle d'or » néerlandais.

Pourtant, même dans les Provinces Unies et même en cette période, un intellectuel comme Spinoza a du mal à exprimer une pensée différente.
D'abord il est exclu de sa communauté, dont il ne partage plus vraiment les croyances.
Son intelligence aiguë lui fait développer une pensée originale, mal acceptée par les pouvoirs religieux, quels qu'ils soient. Il n'est d'ailleurs pas le seul penseur à être poursuivi par des institutions religieuses cherchant à faire interdire ses écrits (cf. Hobbes).

En 1670, Spinoza publie sans nom d'auteur et avec une fausse adresse d'éditeur son « Traité théologico-politique » mais, malgré ces précautions, l'ouvrage lui est très vite attribué.

Spinoza est indigné par l'assassinat des frères de Witt (1672).
À partir de cet assassinat et de la mainmise exercée par la maison d'Orange-Nassau début une époque nettement moins favorable à la liberté d'expression...

Le « Traité théologico-politique » est interdit en 1674.
Et Spinoza renonce à publier son ouvrage principal qui paraîtra seulement après sa mort.
Cet ouvrage, c'est "L'Éthique". Il est écrit en latin, comme les autres ouvrages de Spinoza.

L'Éthique est un livre de réflexion abstraite et, plus précisément, un livre de philosophe.
C'est un ouvrage un peu difficile et d'un genre très particulier : un jeune lecteur qui voudrait l'aborder seul risquerait d'être rebuté et de ne pas avoir les clés nécessaires.
Je ne crois pas pas s'il existe en français un « Guide de lecture » satisfaisant qui aiderait un lecteur isolé à aborder seul l'Éthique de Spinoza. Mais que font les profs de philo ? (Spinoza est mort en 1677 !) On se le demande.

Bon, si vous n'avez pas besoin de lire l'Éthique de Spinoza pour vos études, il vous faut aussi vous poser une question : qu'est-ce que je vais pouvoir retirer de ce livre ?

La vie ne s'apprend pas dans les livres, je répète : la vie ne s'apprend pas dans les livres.
Si vous voulez une aide pour avancer dans la vie, je vous conseille plutôt d'essayer l'hypnose ericksonienne (attention, il existe différents types d'hypnose, soyez attentifs à vos choix et le titre d'hypnothérapeute n'est pas protégé, et la mention "hypnose éricksonienne" non plus...).
Vous trouverez une présentation de Milton Erickson sur ce blog (voir liste des tags).

Si vous avez le goût de l'étude, le goût des lectures abstraites, vous pouvez envisager de lire l'Éthique de Spinoza.
Il faut déjà en trouver une traduction correcte, une traduction qui fasse notamment la différence entre « affectio » et « affectus » (remarque due à Gilles Deleuze).

Je résume la remarque de Deleuze.
L'Éthique est écrite en latin et si un auteur aussi précis que Spinoza emploie deux mots différents, ça n'est pas pour dire la même chose. Or certains traducteurs traduisent ces deux mots latins par un seul mot français, en l'occurrence « affection ».
Deleuze, lui, traduit (dans ses cours) « affectus » par « affect » et « affectio » par « affection ».

Cette seule remarque – capitale – aboutit à l'élimination de la traduction de Charles Appuhn, qu'on trouve encore au format poche.
Par contre on peut retenir les traductions de Robert Misrahi et de Bernard Pautrat, toutes deux disponibles en format poche.

La traduction de Bernard Pautrat est utilisée en classe de prépa. C'est effectivement une bonne traduction, publiée en bilingue (latin-français). C'est une traduction très proche du texte latin, particulièrement proche. Ainsi, le verbe latin « excogitare » est traduit par « excogiter » : effectivement, le mot excogiter existe en français, mais il est tellement rare que vous ne le rencontrerez sans doute que dans la traduction de Pautrat.
Sans oublier le respect que j'ai pour M. Pautrat, là, je dis que c'est un peu facile de traduire « excogitare » par « excogiter ».

La traduction de Robert Misrahi est écrite de manière plus fluide.
Et cette traduction présente la particularité d'être livrée avec des notes qui commentent l'ouvrage de Spinoza. C'est un effort méritoire, mais contesté. Pourquoi ?
Parce que l'Éthique de Spinoza est un ouvrage avec une approche abstraite particulière, qui n'est que de Spinoza, et vouloir reformuler ce que dit Spinoza, c'est s'exposer à faire -parfois- des simplifications abusives.
Si ma mémoire est bonne, c'est dans « L'unité du corps et de l'esprit » de Chantal Jaquet, c'est dans cet ouvrage sous-titré « Affects, actions et passions chez Spinoza » que j'ai lu une critique intéressante et qui m'a paru exacte d'un passage des commentaires de Robert Misrahi sur l'Éthique. Donc prudence sur tout commentaire de Spinoza.

Par contre, je maintiens que la traduction de Robert Misrahi vaut la peine et donc je suggère à tout amateur (francophone) de Spinoza d'acquérir les deux traductions (disponibles au format poche), celle de Bernard Pautrat et celle de Robert Misrahi.

Quant à Chantal Jaquet, qui est une spécialiste reconnue de Spinoza, je ne peux que l'encourager à écrire un ouvrage didactique, de vulgarisation, permettant à un lecteur isolé d'aborder dans de bonnes conditions la lecture de l'Éthique.
Que les meilleurs spécialistes daignent composer des ouvrages de vulgarisation, c'est essentiel. Parce qu'il n'y a rien de plus difficile que la vulgarisation, rien de plus difficile que d'aider un lecteur intéressé (mais manquant de repères) à situer un auteur, son projet, son propos, son approche, l'aider tout au long de la lecture de l'ouvrage, et ceci, sans jamais trahir la pensée de l'auteur.
Quel spécialiste de Spinoza relèvera ce défi ?

Si vous ne connaissez pas du tout Spinoza, vous pouvez peut-être lire le "Spinoza" du philosophe Emile Chartier, dit Alain. Si vous accrochez un tant soit peu à cet ouvrage, alors il y a une chance pour que vous soyez intéressé par la lecture de l'Éthique de Spinoza.
L'ouvrage d'Alain sur Spinoza est disponible ici, au Québec :
Spinoza par Alain (téléchargeable en pdf)

Pour ma part, je ne suis – vous l'avez compris – qu'un simple amateur de peinture, occidentale ou non. Et mes pensées, en cette fin d'article, reviennent bien sûr vers Meindert Hobbema et vers ses tableaux si remarquables : malgré les limites de mon modeste article, j'espère vous avoir donné l'envie de découvrir et de contempler ses tableaux.


4/4 Autres tableaux de Meindert HOBBEMA

Cliquez sur une reproduction pour l'agrandir dans un cadre séparé.

Meindert_Hobbema_Moulin___eau__1692__Mus_e_du_Louvre
Moulin à eau (1692), Musée du Louvre, Paris

 

Meindert_Hobbema_Moulin_sur_le_bord_de_la_rivi_re__1659_1660____Mus_e_Bredius___La_Haye
Moulin sur le bord de la rivière (1659-1660), Musée Bredius, La Haye

 

Meindert_Hobbema_Le_Moulin___eau__1663_1665___Mus_es_royaux__Bruxelles
Le Moulin à eau (1663-1665), Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles

 

Meindert_Hobbema_Le_Moulin___eau__1665_1668___Rijksmuseum__Amsterdam
Le Moulin à eau (1665-1668), Rijksmuseum, Amsterdam

 

Meindert_Hobbema_Une_vue_de_la_grand_route__1665___National_Gallery_of_Art__Washington
Une vue de la grand'route (1665), National Gallery of Art, Washington

 

Meindert_Hobbema_Paysage_avec_moulin___eau__1666___Mauritshuis__La_Haye
Paysage avec moulin à eau (1666), Mauritshuis, La Haye

 

Meindert_Hobbema_Ruines_du_ch_teau_de_Brederode__1667___National_Gallery__Londres
Ruines du château de Brederode (1667), National Gallery, Londres


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11 janvier 2014

Ma voix t'accompagnera - Milton Erickson


"Et je veux que tu choisisses, dans ton passé, un moment où tu étais une petite fille, une très petite fille. Et ma voix t'accompagnera. Et ma voix deviendra celle de tes parents, celle de tes voisins, celle de tes camarades d'école, celle de tes copines, celle de tes maîtresses. Et je veux que tu te retrouves assise, dans la salle de classe, toi, petite fille que quelque chose a rendue heureuse, quelque chose qui est arrivé il y a longtemps, que tu as oublié depuis longtemps."

Citation de Milton Erickson (thérapeute d'exception) s'adressant à une patiente.

Remarques
(1)
Ce qui est relaté dans cette citation, c'est une [partie d'une] relation réelle, entre deux personnes face à face, l'une observant et essayant - très subtilement* dans le cas d'Erickson - d'aider l'autre à... s'aider**.
*Ce qui se passe entre Milton Erickson et un patient, c'est une observation attentive et un processus dynamique interactif.
Très différent de la relation à distance (dans l'espace et dans le temps) entre un auteur et son lecteur.
**Si j'ai bien compris..., l'hypnose éricksonienne a pour but de permettre au patient de mobiliser ses ressources inconscientes pour traiter les problèmes différemment.

(2)
J'éprouve plus d'admiration pour Milton Erickson que pour tous les littérateurs réunis...
Le défi que se lançait Milton Erickson - être un thérapeute, aider des individus à s'aider -, c'est un défi beaucoup plus positif, beaucoup plus intéressant que le défi que se lance un auteur de fiction.
Pour moi en tout cas, entre les deux activités, il n'y a pas photo, et c'est même là une appréciation éthique, un jugement de valeur.

(3) À la suite de l'attaque de polyomélite qui le paralysa presqu'entièrement (à l'exception des yeux et de la bouche), Milton Erickson développa un sens de l'observation et une conscience de son corps tout à fait exceptionnels.

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Ci-dessous des photos de Milton Erickson.
Vous pouvez lire une présentation de son travail - l'hypnose ericksonienne - dans la partie 3 de ce post : explications
(cliquer sur le lien ouvre un autre onglet).

K.

Post-scriptum

Ami lecteur, si tu t'intéresses à Milton Erickson..., voici quelques photos (ci-dessous) et quelques références...

Et une remarque : ce qui s'écrit sur Milton Erickson est très séduisant. Mais pour ma part, je n'ai pas trouvé de thérapeute convaincant. Alors j'en reste aux livres.

Pour acquérir des repères sur la vie de Milton Erickson et sur sa conception de la thérapie, l'article sur Wikipedia peut fournir une première approche, mais bien sûr, ça ne suffit pas: Milton Erickson.
Comme on peut s'y attendre, l'article qu'on trouve sur le Wikipedia anglophone est plus détaillé - notamment sur l'utilisation de la résistance par le thérapeute -, donc - si vous lisez l'anglais- : Milton Erickson.

Pour comprendre la différence entre l'hypnose traditionnelle et l'hypnose ericksonienne, je conseille ce bref article (en anglais):
Generative trance, by Stephen Gilligan (Ph.D), article sous-titré: "The difference between traditional hypnosis and Ericksonian hypnosis".

Milton Erickson est considéré par beaucoup comme le plus grand thérapeute du XXème siècle - et un thérapeute n'est pas forcément un théoricien, un thérapeute c'est quelqu'un qui soigne !
Pour comprendre à quel point Milton Erickson était un thérapeute extra-ordinaire, rien ne vaut les ouvrages de Milton Erickson lui-même.

# Si tu lis l'anglais couramment, tu pourras lire les ouvrages écrits ou co-écrits par Milton Erickson.
# Sinon, tu peux lire : "L'hypnose thérapeutique" (sous-titre : "Quatre conférences") de Milton H. Erickson, traduit en français par Jacques-Antoine Malarewicz et Judith Fleiss. Prix actuel : 25,40 €. Si tu ne peux pas l'acheter, cherchez-le en bibliothèque (tu peux suggérer à ta bibliothèque d'acquérir cet ouvrage, il sera sûrement apprécié par de nombreux lecteurs). Comme son sous-titre le laisse entendre, ce livre contient la transcription de quatre conférences données par Erickson, avec beaucoup d'études de cas ainsi que des exemples en direct (pendant la conférence). C'est à la fois impressionnant, instructif et émouvant.

Parmi les lecteurs de mon blog, je ne peux connaître que ceux qui m'écrivent.
Si tu est encore assez jeune et que les défis utiles t'intéressent, pourquoi ne pas essayer de devenir un thérapeute dans la lignée de Milton Erickson?

Ami lecteur, imagine que, pour terminer ce post,  j'écrive
ma voix t'accompagnera...

Ce serait joli, de finir ce texte en reprenant cette phrase du début. Mais...
...Au début de ce post, cette phrase est une citation de Milton Erickson himself, et il s'agit d'une transcription de paroles prononcées par Milton Erickson dans un face à face thérapeutique avec une patiente.
...Tandis qu'à la fin de ce post, cette phrase - si je la reprenais - ne serait malheureusement que de la littérature, puisque toi - ami lecteur - et moi ne sommes pas en train de nous parler en présence l'un de l'autre.
Tu saisis la différence ?
j'espère que tu comprends pourquoi, si on me demande qui est pour moi une source d'inspiration, je dirai... Milton Erickson (plutôt que tel ou tel littérateur).


Milton_Erickson_001

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S'appuyant sur des béquilles, Milton Erickson a déjà bien récupéré de la maladie virale qui l'a paralysé* à 17 ans : la polyomélite.
*Il ne pouvait plus bouger que la bouche et les yeux.

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28 décembre 2013

Kafka - Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous

2016-10-31 18h45 V12 Modif et ajouts + Extrait version antérieure
2013-12-28 V1

"Il me semble d'ailleurs qu'on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent.
Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire  (…)
Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.
Voilà ce que je crois."

Extrait [traduit] d'une lettre de Franz Kafka à son ami Oskar Pollak, 1904.

Cette citation, nous l'avons découverte grâce à l'auteur d'un ebook,
et si tu aimes cette citation, tu aimeras sans doute aussi son livre
"JE NE VEUX ENTENDRE AUCUNE PAROLE VAINE"
eBook dispo via lien en colonne de droite >>

Le titre de cet eBook est dans la droite ligne de la citation de Kafka, n'est-ce pas ?

Regardez dans la rubrique "Liens" de la colonne de droite,
pour voir si par hasard ;) cette citation ne serait pas lue en vidéo >>>

Mmm... nous allons examiner ça sérieusement, mon cher Franz.

Voilà un propos qui amène chacun à se questionner
d'abord sur ses lectures, mais ensuite, bien au-delà.

D'abord, ami lecteur, à ton avis, Kafka, dans cette citation, parle de quel genre de livre ?

Un livre de math peut être bouleversant s'il révèle à un mathématicien des perspectives qui lui étaient tout à fait inconnues.
Par exemple, la communauté des mathématiciens attend beaucoup du déchiffrage des écrits qu'a laissés Alexander Grothendieck, mort en 2014.
Grothendieck était un mathématicien doté d'une profondeur de vue inhabituelle, même chez les mathématiciens professionnels.

Mais il est très peu probable que Kafka, en écrivant cette lettre à Oskar Pollak ait pensé à des livres s'adressant à un public spécialisé.

Est-ce que Kafka pensait uniquement aux livres de fiction quand il écrivait
" Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous " ?

Ah ! Je n'en suis pas sûr. Réfléchissez aux exemples suivants :
- Un être humain appartenant à une population opprimée et qui aurait une révélation en lisant une biographie de Gandhi, biographie qui lui montrerait qu'on peut lutter collectivement contre une oppression par la non-violence, en étant fidèle à des valeurs morales très élevées.
- Une petite fille et une jeune fille appartenant à une société où les femmes sont opprimées et qui liraient respectivement les aventures de Fifi Brindacier (fiction) et la biographie de la première femme médecin, ou de la première femme avocat.
- Un livre qui raconterait une fiction où serait signalé un problème très réel et très prégnant en Chine, celui des mingong. Je pense à cet eBook "Rencontre avec la Chine des mingong" (lien en colonne de droite)
- Un article sur les violences et meurtres à l'encontre des femmes amérindiennes au Canada, comme ce post "En mémoire de Tina Fontaine et d'autres victimes" (cliquer sur ce lien ouvre un nouvel onglet).

Lire une fiction, c'est vivre un rêve éveillé.
Mais une biographie, l'exemple d'un être humain qui a accompli quelque chose d'exceptionnel, c'est aussi extrêmement porteur pour le lecteur.

Mais est-ce bien de cela dont Kafka voulait parler ?
Sans doute que non, là nous sommes probablement en train de nous éloigner de ce qu'il avait en ligne de mire.
Et pour nous en convaincre, relisons encore une fois cette phrase :
" Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. "

Cette phrase contient une comparaison - entre un livre et une hache -,
et une métaphore - la mer gelée en nous.
Cette comparaison et cette métaphore sont assemblées au sein d'une action qui n'est autre que la lecture du livre.

Mais autant une comparaison est facile à comprendre
- les deux termes sont donnés -,
autant une métaphore prête à interprétation,
parce qu'il manque un des deux termes.

Quelle est cette "mer gelée en nous" ?

Ça n'est pas évident, et ça pourrait être plusieurs choses.

La mer gelée en nous, ça peut être nos sentiments, notre capacité à nous émouvoir, à éprouver de la compassion, de la bienveillance, de la sympathie, de la pitié, de l'amour, la capacité à exprimer des sentiments positifs, la capacité à traduire ces sentiments positifs en actes.

Mais ça peut dépendre des personnes. Pour quelqu'un qui n'arriverait pas à se révolter contre l'oppression, ce pourrait être la capacité de s'indigner, la capacité de lutter, la capacité de se révolter.

Pour un (grand) enfant qui n'arriverait pas à devenir autonome, ce pourrait être la capacité à vouloir être lui-même, à oser affronter le monde.

Et ainsi de suite : " la mer gelée en nous " est une métaphore qui peut recouvrir des choses différentes selon les personnes, le seul point commun entre ces personnes étant qu'il existe en chacune d'elle une "mer gelée".

Est-ce que chacun aurait une "mer gelée" en lui ?
Même les acteurs de théâtre ?
Et même les extraverti(e)s ?

Oui, bien sûr, certainement.
En chacun se trouve des choses enfouies dont il n'a pas conscience.

Des choses qui parfois, tout à coup, ressurgissent.
Peut-être en entendant une musique qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps.
La musique peut raviver des émotions enfouies :
tenez, c'est justement le titre d'un article que vous pouvez lire via ce lien...
La musique peut raviver des émotions enfouies

Mais reprenons le fil de notre réflexion.

En réfléchissant sur " la mer gelée en nous ",
nous en sommes arrivés à cerner ce qui est profondément enfouie en nous, ce qui est enfoui si profondément que c'en est devenu insconscient.

Est-il nécessaire, utile de rendre conscient ce qui est inconscient ?
Non, pour amener un changement dans sa vie, IL N'EST PAS NÉCESSAIRE de rendre conscient ce qui est insconscient, et ce serait même une perte de temps et d'énergie.
J'en veux pour preuvre l'oeuvre de toute une vie,
l'oeuvre du grand thérapeute Milton Erickson, spécialiste de l'hypnose thérapeutique, qu'il a refondée.

Milton Erickson disait de Freud que ses idées étaient intéressantes,
mais que c'était un piètre thérapeute. Et c'est vrai.

  On connaît les reproches que Sándor Ferenczi avait osé adresser à son maître ombrageux, Sigmund Freud : Ferenczi reprochait à Freud de ne pas s'intéresser à ses patients. Et soit dit au passage, à qui les psychanalystes viennois envoyaient-ils les cas les plus difficiles ? À Ferenczi.

  Citons de brefs passages du bon article sur Ferenczi dans Wikipedia :
"Ferenczi n'observe que trop l'hypocrisie et l'indifférence des analystes envers leurs patients, ceux-là se réfugiant derrière leurs connaissances et leurs concepts."
Commentaire : c'est toujours d'actualité, malheureusement...

Voici des propos tenus par Freud devant Ferenczi. Comptant sur la discrétion de Ferenczi pour ne pas divulguer ses propos, Freud lui disait en 1932 :
"Les patients, c'est de la racaille. (...) Les patients ne sont bons qu'à nous faire vivre et ils sont du matériel pour apprendre. Nous ne pouvons pas les aider, de toute façon."
Édifiant, non ?
Il y avait là de quoi faire bondir un homme sincère comme Ferenczi.

"L'exigence de Ferenczi (...) est (...) trop importante pour qu'il se conduise ainsi : il est pour lui essentiel de guérir, soigner, soulager les patients."
Ça paraît la moindre des choses, non, de la part d'un psychothérapeute ?
Mais ça n'est pourtant la priorité des psychanalystes, malheureusement (bis)...

Par contre, guérir, soigner, et de manière efficace et rapide, c'était l'objectif de Milton Erickson.

Milton Erickson avait suivi à la fois des études de psychiatrie et de psychologie et son but était d'aider chaque patient à s'aider lui-même, d'aider chaque patient à trouver en lui des ressources insoupçonnées lui permettant de trouver des solutions nouvelles à des situations qu'il était jusque là incapable de traiter de manière satisfaisante.

Et Milton Erickson voulait réaliser son travail de psychothérapeute d'une manière efficace et rapide.
Pas en faisant venir un patient pendant des années comme le font les psychanalystes. Non seulement c'est démesurément long et coûteux, mais c'est généralement inefficace.

Comment Milton Erickson arrivait-il à soigner ses patients ?

Il utilisait l'hypnose thérapeutique mais pas toujours.
En revanche, ce qu'il avait toujours à l'esprit, ce qui guidait sa foi en son travail, c'est que chacun de nous possède dans son inconscient des ressources positives, insoupçonnées, qui peuvent permettre à chacun de nous de répondre de manière créative et positive aux difficultés de la vie.

Voilà le postulat de son travail de psychothérapeute :
un inconscient positif, réservoir de créativité.
(Freud avait une toute autre vision l'inconscient..., une vision négative.)
La vision positive de l'insconscient chez Milton Erickson lui a permis de soigner ses patients, de les aider à s'aider eux-mêmes.

Milton Erickson a peu théorisé. Mais du vivant même de Milton Erickson, d'autres, souvent influencés par lui, ont développé une réflexion théorique et une pratique clinique orientées vers la recherche de solutions et motivées par le souci de l'efficacité.
Citons Jay Haley (qui a beaucoup étudié avec Erickson),
et Paul Watzlawick, membre important de l'école de Palo Alto.
Un repère historique :
le Brief Therapy Center du Mental Research Institute de Palo Alto.
Vous pouvez trouver des livres de ces deux auteurs, mais attention : feuilletez-les en librairie avant de les acheter, parce que certains de ces livres contiennent des parties théoriques plus ou moins claires, plus ou moins bien traduites de l'anglais. Si vous ne pouvez pas feuilleter tel ou te ouvrage en librairie, essayez de trouver des extraits sur Internet, et/ou demandez à votre bibliothèque (municipale, universitaire,...) de l'acheter.

Remarquons qu'il existe, dans la vie courante, des moments où notre insconscient travaille pour notre plus grand bien : c'est le cas la nuit, quand nous dormons.
Il est donc important de préserver notre sommeil, en quantité et en qualité.

Bien des choses peuvent nous conduire à négliger votre sommeil,
mais c'est toujours une erreur.
Tous nos écrans bleutés nous entraînent loin de nous-même, dans une réalité virtuelle qui nous fait glisser hors de la vie réelle.

Nous devons savoir éteindre nos écrans, nous déconnecter de notre journée
et nous recentrer sur notre corps, sur nos sensations, sur notre présence au monde concret qui nous entoure, l'air, l'eau, le ciel, nos sensations tactiles, les sensations à l'intérieur de notre corps.
Et sur nos relations dans le monde réel, par opposition à nos relations dans le monde virtuel (être présent sur les réseaux sociaux - virtuels - entraîne une souffrances sociale bien réelle !..., il convient donc de se demander s'il est vraiment nécessaire de s'afficher sur les réseaux sociaux et d'y entretenir une présence source de souffrances qui viennent s'ajouter à celles qui ne manquent pas de surgir dans le monde réel.).

Revenons à la citation de Kafka, pour savoir si nous nous en sommes beaucoup éloignés - ou non - :
" Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. "

Nous ne nous en sommes pas si éloigné que ça.

Car on peut voir " la mer gelée en nous " comme autre chose que ce que nous avons dit au début de notre réflexion.

" La mer gelée en nous ", ça peut être aussi notre inconscient négligé, oublié, enfoui.

Avant de nous coucher, nous pouvons demander à notre inconscient de bien vouloir nous guider, nous inspirer.
Notre inconscient connaît beaucoup de choses :
il y a beaucoup de choses que nous avons vues, ou ressenties, ou perçues, ou pratiquées, ou intégrées..., puis que nous avons oubliées, enfouies.
Mais tout ça est encore en nous, de même que la capacité à apprendre des choses nouvelles, à inventer des solutions nouvelles, à déjouer enfin des pièges où nous sommes si souvent tombés...
La capacité d'inventer, d'innover, de trouver une façon nouvelle et positive d'aborder la vie existe en nous, le psychothérapeute éricksonien est juste là pour vous aider à laisser travailler votre inconscient, pendant et après la séance, pendant les phases d'hypnose (et d'auto-hypnose) et pendant votre sommeil.

Cela ne veut pas dire que vous allez être capable de tout faire à merveille -chacun a des limites-, mais ces limites sont immensément plus lointaines que vous ne le pensez.

Remarquez qu'à partir de la citation de Kafka...
"Il me semble d'ailleurs qu'on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent.
Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire (…)
Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois."

...nous en sommes arrivés à un travail souterrain, un travail insconscient dont le patient n'a pas besoin de connaître les détails.
En effet, et ceci est typique de la démarche de Milton Erickson,
il n'est pas du tout nécessaire de prendre conscience de ce qui se passe dans notre inconscient.
En revanche, il est nécessaire que nous laissions notre inconscient travailler pour nous, chercher des solutions nouvelles, une nouvelle façon d'être.
Chacun détient des ressources insoupçonnées, la possibilité d'aborder la vie d'une façon nouvelle, positive, créative.

Dans cette optique, la mer gelée en nous, c'est celle des habitudes,
habitude routinière de répondre à un problème de la même façon insatisfaisante,
habitude routinière de perdre notre temps et notre énergie à des choses inutiles,
habitudes routinières de pensée à propos de la vie, des autres et de nous-même,
habitude aussi d'utiliser une approche purement rationnelle des situations alors que ce qui est d'abord nécessaire c'est de savoir ce qu'on veut vraiment, au fond de soi, et ça l'inconscient le sait et peut nous aider à le sentir.

Donc si nous revenons à la citation de Kafka, nous avons envie de la détourner légèrement en la paraphrasant :

Chacun de nous a tendance à s'enfermer dans des répétitions stériles, dans des schémas tout faits.
Mais...
Il existe en chacun de nous un océan vaste et puissant, plein de vie
- notre inconscient -,
et nous pouvons nous adresser à lui comme à un guide,
nous pouvons lui demander de laisser surgir en nous un courant novateur
et régénérateur, qui va nous inspirer une attitude nouvelle envers la vie,
une attitude créatrice et positive.


Hum... attention : si vous avez envie d'essayer l'hypnose thérapeutique, sachez qu'il existe beaucoup d'hypnotiseurs qui ne sont pas des psychothérapeutes et qui ne vous apporteront rien.
Ensuite
Choisissez quelqu'un qui soit médecin ou  psychologue clinicien et qui ensuite se sont formé soit à l'hypnose éricksonienne (demandez la formation suivie), soit aux thérapies brèves (Institut Bateson), mais vérifiez aussi que la personne que vous voulez consulter a déjà une certaine expérience.
N'hésitez pas à poser des questions.
Sachez qu'un médecin n'est pas formé à la psychothérapie pendant ses études de médecine. Si un jour il se forme à la psychothérapie, ce sera après ses études de médecine... et cela implique une démarche personnelle.
Ne tombez sous l'influence de personne et soyez capables de voir plusieurs thérapeutes différents.

Et puis, si vous ne trouvez pas de vrai psychothérapeute, s'ils sont trop éloignés de l'endroit où vous vivez, surtout ne perdez pas espoir (d'ailleurs vous seriez peut-être déçu par les psychothérapeutes du monde réel : les belles histoires qu'on raconte à propos de Milton Erickson se produisent-elles souvent, dans la réalité ?...).
Ne perdez pas espoir et occupez-vous d'avancer :
- documentez-vous sur l'hypnose éricksonienne (Milton Erickson) et sur les thérapies brèves (Paul Watzlawick, Jay Haley etc. : si vous cherchez ces noms, vous en trouverez d'autres.)
- documentez-vous sur l'auto-hypnose (car vous pouvez travailler seul)
et sur les thérapies brèves (car vous êtes capable de changer),
- soignez la qualité de votre sommeil et
demandez à votre inconscient de vous aider à trouver une solution au problème qui se pose à vous,
- et plus généralement,
demandez à votre inconscient de vous aider à sortir de votre comportement habituel et répétitif pour adopter une attitude intérieure nouvelle, positive, courageuse, créative, ingénieuse.

Si vous êtes dans une impasse, dans la répétition de quelque chose qui ne vous convient pas, sachez que le changement ne provient ni de l'introspection, ni d'une analyse rationnelle. Le changement dans votre vie peut venir d'une petite modification, et il peut avoir une allure illogique.
---> Je me souviens du cas d'une jeune femme mal acceptée par ses beaux-parents. Cette jeune épouse eut un enfant mais sombra dans une dépression post-partum. Ses beaux-parents l'estimèrent incapable de s'occuper de l'enfant et la jeune mère elle-même ne s'en estimait pas capable.
Médicaments, hospitalisation : le "cas" de cette jeune mère fut médicalisé, sans succès d'ailleurs, puisque la situation se prolongeait. La jeune mère habitait chez ses beaux-parents qui s'occupaient du bébé.
C'est un thérapeute spécialisé en thérapie familiale (Jay Haley si je me souviens bien) qui dénoua la situation : dans le sillage de Milton Erickson (qu'il avait bien connu), il alla directement au but.
Le but était à terme, que le jeune couple revienne vivre chez eux et que la jeune mère s'occupe de son bébé. On est par exemple lundi, le thérapeute demande au jeune couple : "est-ce que vous pourriez rentrer chez vous à partir de jeudi ?" La jeune mère se récrie, c'est impossible, il faut tout nettoyer.
"Bon, quelques jours pour le nettoyage et le rendement, alors vendredi."
Le jeune mari prend un congé pour aider sa femme.
Retour au domicile conjugal,
C'est une présention très rapide d'un cas, mais voici un point important à retenir: dans l'esprit de l'école de Palo Alto - et dans le sillage de Milton Erickson, les thérapies brèves sont orientées vers la solution.

Le thérapeute doit faire preuve d'écoute, d'ingéniosité et de subtilité pour créer les conditions du changement. Une grande originalité de ce courant thérapeutique (Milton Erickson, puis Jay Haley, Paul Watzlawick), c'est de s'appuyer sur tout ce qui peut être utile, y compris notamment sur la résistance du patient : la résistance du patient n'est pas un obstacle, c'est un support sur lequel le thérapeute peut d'appuyer. Et c'est là que ça devient subtil. (Beaucoup plus subtil - et mille fois plus efficace - que la psychanalyse qui enferme le patient dans la recherche indéfinie du sens de ses symptômes.)
Un des livres de Jay Haley s'appelle (en anglais) "Directive Family Thérapie" (titre français : D'un âge à l'autre).

J'ajouterai ceci, de plus personnel :
N'ayez pas peur d'avoir un idéal, ce qui implique aussi d'avoir un idéal pour vous-même, une image de la personne que vous souhaitez être, quelqu'un qui s'efforcerait de se montrer responsable et porté, oui, par un idéal, par de quelque chose de plus grand que lui.
C'est ce qui porte l'eBook dont je vous ai déjà parlé
("Rencontre avec la Chine des Mingong").

Soigner les autres, c'est un bel idéal.
Mais commencez par vous occuper de changer votre vie, en étant sincèrement attentif aux autres : c'est déjà beaucoup.

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Ci-dessous une autre version de l'article...

(...)

 En attendant, ami lecteur, dors bien et suffisamment :
le sommeil peut t'aider à accomplir une maturation inconsciente, une germination créative.

Le conscient nous aide dans le domaine du connu.
 Mais quand il nous faudrait faire preuve d'imagination et de créativité,
nos habitudes, nos schémas de pensée nous fossilisent...
 
Comment donc face à des situations délicates ?

Sache qu'il existe en chacun de nous des ressources insoupçonnées,
et ce sont ces ressources cachées que le subtil Milton Erickson excellait à stimuler.

Et sache-le, ami lecteur :
le sommeil naturel est toujours
la voie la plus sûre pour te retrouver
 - au terme du plus secret des voyages -
au voisinage de ton coeur...


Faut-il lire juste pour passer le temps ?
Bien sûr que non...

D'où le présent post inspiré par la citation de Kafka.

(À partir d'ici vous pouvez revenir plus haut, à la dernière version du post.)


Bien à vous,

K.

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19 décembre 2013

Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 6 et 7), une série commentée ici...

Dère màj 2013-déc.22 20h14 - V1 2013-déc.19

Dosto_evski_par_Vassili_Perov___1872   Dosto_evski_en_1876
Dostoïevski
Portrait peint par Vassili Perov, 1872               Photographie, 1876

On a bien fait de nous signaler le scepticisme de Dostoïevski quant à la capacité des femmes à faire quelque chose de suivi et la belle réaction d'Anna Grigorievna qui décide de commencer une collection de timbres qu'elle poursuivra avec constance, toute sa vie.
Cette collection a malheureusement été perdue, dispersée: il aurait très intéressant de la conserver, intacte, à titre historique.
Le rôle qu'Anna Grigorievna aura joué auprès de Dostoïevski, dans la gestion de ses affaires du vivant de son mari et après la mort de celui-ci est une preuve encore beaucoup plus éclatante de sa capacité à... "faire quelque chose de suivi" !

Anna_Grigorievna_Snitkina__Anna_G           Anna_Dostoyevskaya_dans_les_ann_es_1880

Anna Grigorievna
en 1871                                                    dans les années 1880

Il est vrai que les femmes de la génération de Dostoïevski n'allaient pas à l'Université, leur éducation, leur rôle social était très délimité, très codé, leur réputation très facile à perdre. Avec la génération d'Apollinaria Souslova et d'Anna Vassilievna, on voit des jeunes filles commencer à aller à l'Université mais en l'occurrence, ce sont les soeurs d'Apollinaria et d'Anna qui vont s'illustrer. (Comme je l'ai raconté dans un autre post, Apollinaria s'inscrit à l'Université mais n'étudie pas vraiment...).
La soeur d'Apollinaria, Nadejda Souslova sera la première femme russe à devenir médecin.
Et la soeur d'Anna, Sofia Vassilievna deviendra sera la première femme russe à devenir mathématicienne, non seulement professeur d'université mais aussi une excellente chercheuse.
Quant à Anna Grigorievna Snitkina, elle avait accompli de brillantes études secondaires mais n'avait pas les moyens, me semble-t-il, d'aller à l'Université. Elle choisit donc d'apprendre la sténographie auprès du professeur Olkhine, afin de gagner sa vie et d'être indépendante.
Le Pr Olkhine donnera à sa meilleure élève - Anna Grigorievna - une lettre de recommandation pour l'écrivain Dostoïevski. Vous connaissez la suite.
Malgré son jeune âge, Anna Grigorievna connaissait et aimait l'oeuvre de Dostoievski, avant d'être recommandée à lui par le Pr Olkhine.

(...)

Après la mort de Dostoïevski, Anna Grigorievna ne se remaria pas et s'occupa de l'oeuvre de son défunt mari.


2013-déc.19 22h43

Quelques mots avant, peut-êre, un post plus approfondi.

J'ai été content d'avoir rendez-vous ce soir avec Dostoïevski,
pardon, avec une évocation de Dostoïevski,
mais dans mon coeur, c'est bien sûr avec lui que j'avais rendez-vous.

Mais en m'asseyant devant l'écran, j'étais triste déjà :
je savais que j'allais souffrir avec lui, par lui, pour lui.

Je savais que longtemps encore après avoir écrit Le Joueur,
il jouerait et perdrait, jouerait encore et perdrait encore.

Je savais qu'Anna Grigorievna aurait un jour l'extraordinaire intelligence, l'extraordinaire intuition qu'il avait, à cet instant, besoin de jouer, besoin de cet état d'émotion intense et qu'elle l'enverrait jouer.
Je savais que cette passion pour le jeu aurait, quand même, une fin.

Je savais qu'Anna et lui allait perdre une petite fille.

Et de fait, que j'ai souffert pendant cet "épisode 6"...

Cet épisode 6 est d'une grande tension dramatique. Sa passion pour le jeu le possède, il perd tout l'argent du couple, notamment tout l'argent de sa femme, il vend les quelques bijoux de sa femme auprès d'un commerçant qui, évidemment, ne lui en offre qu'un prix insuffisant.
Tout ça pour jouer, pour gagner parfois, pour jouer encore et pour toujours perdre au final.

Les épisodes 6 et 7 montrent aussi la calomnie s'abatttant sur lui :
on lui attribue les méfaits et la perversité criminelle de l'un de ses nombreux personnages.

Je savais qu'Anna Grigorievna allait avoir une présence extraordinaire auprès de lui, et même loin de lui, quand il est parti jouer dans une autre ville.

Attention :
Tout n'est pas précisé dans la série...
Si Anna Grigorievna et Fiodor Mikhaïlovitch ont quitté la Russie quelque temps après leur mariage, ce n'est pas seulement à cause des créanciers, mais aussi - en grande partie - à cause de la situation invivable faite à la jeune épouse par l'entourage de Dostoïevski :
la famille qui défile dès qu'il reçoit le moindre argent et l'insupportable Pavel qui rend la vie infernale à Anna Grigorievna.

Je regrette qu'on ait simplement évoqué la Madone Sixtine : c'est un tableau qu'il est resté des heures à contempler.

Je suis content qu'on ait vu Anna Grigorievna bonne gestionnaire de ses affaires, c'est-à-dire - en général - de ses dettes. Anna Grigorievna confondant une canaille de créancier qui vient réclamer le paiement d'une facture... déjà payée. Avec une Anna Grigorievna bien organisée, ça ne passe pas !

On a bien fait de montrer Dostoïevski en lecture publique : c'était un excellent, un excellentissime lecteur de ses propres oeuvres, il captivait son auditoire.

Au cours d'une telle lecture, il lui est arrivé, par exemple, de lire un passage particulièrement émouvant de Humiliés et Offensés.

On a bien fait de montrer la scène violente où il est fou de jalousie à l'idée (fausse) qu'Anna Grigorievna se soit laissée séduire par un autre homme. Ce n'était qu'une plaisanterie d'Anna qui avait recopié une lettre figurant dans une nouvelle qu'ils avaient lue tous les deux.

Il y a eu d'autres scènes de jalousie - moins violentes - non mentionnées dans cette "série".

On nous montre ses retrouvailles avec le poète Nikolaï Alexeïevtich Nekrassov mourant (1821-1877).
Cette rencontre a lieu bien longtemps après l'époque de leur jeunesse, où Nekrassov avait été enthousiasmé par le premier roman de Dostoïevski, Les Pauvres Gens et l'avait apporté au critique Vissarion Biélinski (ou Bélinski selon les retranscriptions) qui avait lui aussi été conquis.

Signalons les écrits rédigés au cours des périodes retracées par ces épisodes 6 et 7 :
L'Idiot, réalisé dans une période particulièrement difficile.
On évoque L'Adolescent, Les Démons, Le Journal d'un écrivain.
On voit Dostoïevski annoncer un projet qui deviendra Les Frères Karamazov.

Mais il faut rétablir la vérité contre la façon dont on présente Dostoïevski à la fin de l'épisode 7: on l'enterre avant l'heure !
Après Les Frères Karamazov, il avait en tête un nouveau roman, une suite vingt ans plus tard, si je me souviens bien.
La mort, en venant l'emporter dans sa soixantième année, l'a empêché d'allé plus loin.
Mais jusqu'au terme d'une vie très difficile, moralement et physiquement, Dostoïevski aura fait preuve d'un génie créateur sans cesse renouvelé, et c'est suffisamment rare pour être souligné.

K.

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12 décembre 2013

Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 4 et 5), une série commentée ici...


DANS UN CORPS AFFAIBLI, LA FLAMME D'UN CRÉATEUR DE GÉNIE

Dère màj 2018-MAI-05 - V1 2013-déc.13

Dosto_evski_en_1863
Dostoïevski en 1863,
à l'époque de sa liaison avec Apollinaria Souslova (Polina)

Apololinaria_Souslovai_en1867
Apollinaria Souslova (Polina) en 1867,
la liaison avec Fédor M. Dostoïevski est alors terminée

Revenons sur les épisodes 4 et 5.

On nous présente, à juste titre, Dostoïevski en tant que polémiste : au retour de Sibérie, il se lancera par écrit dans de nombreuses polémiques, publiées successivement dans les revues Le Temps, puis L'Époque. Ces revues sont évoquées lors des scènes entre Fédor et son frère MiKhaïl qui gérait la revue.
On voit, dans la série, Fédor s'opposer aux idées de Herzen*.
* Alexandre Herzen, 1812-1870, essayiste, considéré comme le père du socialisme russe.
Donc - et c'est heureux - cette série ne parle pas que de la vie sentimentale de Dostoïevski.

Les articles de Dostoïevski peuvent être consultés dans l'édition de ses oeuvres complètes.
La série présente - forcément brièvement - l'orientation de Dostoïevski depuis le retour du bagne : retour à la religion orthodoxe, glorification du peuple russe considéré comme messianique, nécessité de fournir une instruction au peuple, fidélité au tsar (qui reste un autocrate, il faut le rappeler ; par ailleurs Dostoïevski restera surveillé tout le reste de sa vie par les autorités et la police secrète).
Depuis son retour du bagne, Dostoïevski s'est tout à fait éloigné des cercles progressistes et encore plus de toute visée révolutionnaire, il est désormais animé par son amour pour la Russie, pour le peuple russe, pour une "russéité" qui comprend tout à la fois une certaine façon d'être (le Russe "n'est pas" calculateur, il "est" ceci et "n'est pas" cela), la religion orthodoxe (le peuple russe "seul peuple messianique) et... la fidélité au Tsar.

Un certain essentialisme, - une façon de penser, très répandue à vrai dire* -, pousse donc Dostoïevski à schématiser, à écrire dans ses articles des généralités sur les Français, les Allemands, les Anglais, et sur les Russes, naturellement.
Bien entendu, il faut garder du recul par rapport à ces stéréotypes qui peuvent parfois fournir à Dostoïevski des bases pour certains personnages**.
Il n'y a guère que des penseurs comme Spinoza pour nous alerter sur le fait qu'il n'y a pas d'essence générale, il n'y a que des essences particulières.

** Dans un de ces épisodes, on voit Dostoïevski lire une critique qui lui a été faite à propos de Humiliés et Offensés, un roman que je défends et conseille même si ce n'est pas un de ses plus grands.
Dostoïevski se défend lui-même en expliquant - et c'est vrai - travailler sous contrainte, dans des conditions très difficiles, et n'avoir pas pu développer ses personnages autant qu'il l'aurait souhaité. Mais ne vous y méprenez pas : aucune oeuvre n'est négligeable chez Dostoïevski.
Car la vie qu'il insuffle est toujours prodigieuse et ce qui compte, ce ne sont pas seulement les personnages, ce qui compte ce sont les relations entre les personnages, c'est là que tout se joue chez Dostoïevski, y compris dans les soliloques : dans Le Sous-sol, c'est bien avec l'écho des autres qu'interagit si fortement le narrateur.

(...)

Bref, Dostoïevski entretient une relation très affective, très fusionnelle à une Russie traditionnelle et, à mon humble avis, ses idées constituent en grande partie une rationalisation de cet attachement affectif à une "Russie de toujours" (l'expression est de moi, pas de lui). Évidemment, la "Russie de toujours" touche le coeur de chaque Russe.
Si je place Dostoïevski au sommet de la littérature et si je le considère comme un immense génie littéraire, on voit que je ne partage pas pour autant ses idées : en fait, je me mets à distance de toutes les chapelles idéologiques, ayant plus une âme d'observateur et d'analyste, un esprit d'historien et de sociologue.

Revenons sur le parcours de Maria Dimitrievna : après la mort de son épouse, Dostoïevski se demande s'il n'aurait pas dû la laisser vivre la vie qu'elle avait commencé à mener sans lui, avec son maître d'école.
Et c'est bien sûr la question que tout spectateur se pose en regardant l'histoire de Maria Dimitrievna.
Bien sûr, Dostoïevski avait cru bien faire (voir le post consacré aux épisodes 1 à 3).

Ce cas soulève une question bien plus générale : souvent nous intervenons dans la vie d'autrui avec les meilleures intentions, mais en poussant autrui à emprunter une voie qu'il ne veut pas emprunter. Le résultat est rarement bon. Certes s'il s'agit de retenir quelqu'un qui veut traverser une voie ferrée alors qu'un train arrive à toute vitesse, là il s'agit de préserver la personne d'un danger qu'elle pourra elle-même constater.
Mais s'il s'agit de convaincre une personne de faire tel choix plutôt que tel autre, il ne faut jamais trop insister : celui qui conseille n'est pas forcément impartial, et chacun est mû par des désirs qui lui sont propres. Or le désir souvent n'est pas raisonnable, c'est-à-dire, au sens littéral : souvent le désir ne peut être raisonné.
Et si malgré tout, nous parvenons à convaincre - ou pire, si nous parvenons à contraindre - une personne de ne pas faire le choix de vie qu'il désirait mais plutôt celui que nous voyons pour lui, cette personne risque de nous en vouloir pour toujours.
Car aux premiers soucis naîtra en elle le regret*, teinté d'amertume, qu'elle aurait eu une vie meilleure si elle ne nous avait pas suivi : c'est l'histoire de Maria Dimitrievna.
*Un tel regret est aussi irréfutable que le temps est irréversible, puisqu'on ne peut revenir en arrière pour revivre sa vie en faisant, à partir de tel moment, un autre choix. Il est donc très risqué - pour vos relations avec une personne - d'intervenir de façon contraignante dans les choix de vie de cette personne.

(...)

Décidément, cette série se consacre surtout à la vie sentimentale de Dostoïevskï.

Oui, c'est exact Dostoïevski a demandé sa main à Anna Vassilievna Kovalevskaïa. MAIS... la raison pour laquelle ce mariage ne s'est pas fait est singulièrement "édulcorée" dans cette série, et là on atteint l'erreur.

En outre, c'est bien la première fois que j'entends parler d'une passion, fut-elle de prime jeunesse, de Sofia Vassilievna pour Dostoïevski.

Soeur cadette d'Anna, Sofia Vassilievna va devenir une mathématicienne, ce qui déjà en soi est une information importante : ce sera la première Russe à devenir mathématicienne. Et une excellente mathématicienne !

Alors je ne suis pas un spécialiste des détails de la vie de Dostoïevski - je le reconnais bien humblement - mais je suis fort étonné que cette série ait développé à ce point une soi-disant passion (jusqu'à la volonté de se sacrifier) de la très jeune Sofia Vassilievna (14 ans) pour Dostoïevski car les repères biographiques dont je dispose sur Dostoïevski et sur Sofia Vassilievna ne conservent aucune trace de cette prétendue passion d'adolescente.
J'espère que ce n'est pas inventé par le scénariste de la série, mais même si c'est vrai, c'est tellement anecdotique dans la vie Dostoïevski -et dans celle de Sofia Vassilievna- que cela ne méritait même pas d'être mentionné. (Si un de mes lecteurs détient une information à ce sujet, merci de me le faire savoir en indiquant la source de l'info.)

Et ceci confirme le redoutable biais de cette série historique :
cette série prétend retracer (une partie de) la vie de Dostoïevski, mais elle se penche surtout sur la vie sentimentale de l'écrivain, ne nous épargnant aucune des inclinations qu'il a pu avoir ou recevoir, et avec ce soi-disant mouvement d'une adolescente de quatorze ans (Sofia Vassilievna) vers Dostoïevski, le scénariste dérive et sombre dans un océan d'insignifiance.

On comprend donc de mieux en mieux que cette série est le reflet d'un scénariste spécialiste du téléfilm sentimental...

Alors, certes le grand roman Crime et Châtiment est évoqué, d'une façon romancée : une rencontre dans un café mettant en scène un étudiant professant les mêmes idées que Raskolnikov.
Mais que cela prend peu de place dans cette série qui s'étale par contre sur tous les détails de la vie sentimentale de Dostoïevski, tout en s'écartant de la réalité PAR OMISSION, comme on va le voir ci-dessous : revenons en effet à Anna Vassilievna.

Dans la série, Anna Vassilievna déclare à Dostoïevski qu'elle n'est pas prête à se consacrer à lui au détriment de sa propre activité. Il y a effectivement du vrai, mais c'est très en-dessous de la réalité.
Les idées politiques d'Anna Vassilievna sont très affirmées et tout à fait à l'opposé de celles de Dostoïevski.
Anna Vassilievna n'est pas seulement féministe, elle est également révolutionnaire. Elle quitte la Russie en 1866 et en 1867 elle épouse Victor Jaclard, socialiste français disciple de Proudhon. Victor Jaclard participe à la Commune de Paris (1871), un tribunal militaire le condamne à mort mais il parvient à s'échapper et rejoint Londres. Il s'y installe avec son épouse Anna qui est elle-même très active : les deux époux entretiennent des relations avec Karl Marx, qui les aide. Puis ils vont en Russie, où Anna le présente aux Narodniks, les membres d'un mouvement socialiste agraire.

Parenthèse sur les Narodniks, influencés par les idées de Herzen et Tchernychevski.
En 1876 les Narodniks se transforment en société secrète -Terre et Liberté -, visant un soulèvement révolutionnaire de masse.
En 1879 naît dans ce mouvement une aile terroriste, Narodnaïa Volia, qui se met à préparer des attentats politiques. Trois attentats contre le tsar Alexandre II échouent (deux en 1879 et un en 1880).
En mars 1881, le tsar est tué par un attentat.
À cette date, Doistoïevski est déjà mort (début février 1881) mais il avait largement décrit, dans Les Démons, l'affrontement de deux visions en Russie - vision révolutionnaire versus vision religieuse.

Ajout. Ah si ! Il y a une scène que je trouve très réussie.
Lorsque Dostoïevski se trouve, pour la seconde fois, avec Anna et Sofia Vassilievna et leur mère, et qu'il raconte comment, fin 1849, il a vécu ce simulacre d'exécution (sauf que les condamnés ne savaient pas que l'exécution allait être suspendu au tout dernier moment, celui de donner aux soldats - qui déjà les tenaient en joue - l'ordre de faire feu.
Ici l'acteur qui joue Dostoïevski est excellentissime, on en a des frissons. Et le texte provient de Dostoïevski  lui-même car je me souviens avoir lu - mais je ne sais plus - où cet instant très intense où il s'imagine avoir le choix entre... ou bien sombrer et mourir ou bien survivre pendant des années mais perché sur un minuscule promontoire où il ne pourrait bouger, d'où il ne pourrait partir.
Et là, il dit, avec intensité, j'aurais choisi de vivre, de vivre.
C'est une scène excellente, fort bien jouée par l'acteur, et où on retrouve cette intensité qui est la marque de Dostoïevski.

Un inconvénient de tout film à prétention historique, c'est qu'il offre des images qui vont se graver dans la mémoire du spectateur, ici les images de cette série seront retenues par les spectateurs comme étant "les images la vie de Dostoïevski". Mais ce n'est pas vrai.
Dans les rues pavées impeccables du Paris reconstitué, pas un seul mendiant, pas un seul papier par terre et à une fontaine, une femme seule qui chante comme dans un théâtre...
Il peut y avoir des erreurs, ou simplement des omissions qui peuvent induire en erreur.
Etc...
Et c'est d'ailleurs parce qu'un film à prétention historique est seulement une évocation que j'évite d'illustrer ces articles avec des captures d'écran de cette série : je ne souhaite pas contribuer à ancrer, à enraciner dans la mémoire des lecteurs (de Dostoïevsk) des images qui ne sont qu'une représentation de la réalité.

Quand vous avez vu un film à prétention historique, ayez conscience qu'un tel film n'est qu'une évocation et lisez les commentaires ici ou là pour cerner les erreurs, les insuffisances.

2013-déc.12 22h53 (ajout le 2013-déc.15 12h18)

Quelques mots rapides.

À propos de l'épisode 4, j'ai entendu dire qu'une rencontre avec Tourgueniev à Baden-Baden aurait (?) été déplacée de quatre ans, càd placée en 1863 au lieu de 1867.
Mmm... ne nous emballons pas, je reste prudent parce que cette série est réalisée par des Russes avec un souci de réalisme dans les costumes et les décors, et que Dostoïevski étant un génie reconnu de la littérature, je vois mal une production cinématographique russe prendre beaucoup de liberté avec la réalité.
Disons qu'à propos de cette rencontre avec Tourgueniev évoquée dans l'épisode 4, il faut - en fonciton du contenu, vérifier la date. Et vérifier aussi les intertitres qui annoncent les dates à l'écran. Parce que si cette rencontre date de 1867, elle a pu être insérée avec une annonce "1867" dans une narration qui retrace le séjour à Baden-Baden en 1863.
Restons prudent mais vérifions.

Il faut être un très bon spécialiste de la vie de Dostoïevski pour avoir en tête non seulement les repères biographiques mais aussi les contenus de telle ou telle rencontre.

D'ailleurs, posons-nous cette question : comment est construit le scénario de la série ?
Utilisant la correspondance de Dostoïevski et les témoignages de ses contemporains, le scénariste a créé des scènes où il place dans la bouche de Dostoïevski et des autres protagonistes les propos qui ont été tenus par écrit ou rapportés.
Les propos qui ont été tenus par écrit n'ont -justement- pas nécessairement été prononcés dans la vraie vie, mais ils donnent une matière pour des "scènes reconstituées" mais qui n'ont pas toujours existé, ou pas ainsi, dans la réalité.

L'amour douloureux pour une Polina* apte à faire souffrir mais pas à rendre heureux est plutôt bien suivi, en ce quatrième épisode de la série. (*Apollinaria Souslova)
Mais l'actrice est, me semble-t-il, un peu trop charmante pour incarner ce personnage d'Apollinaria. Les mots sont là, mais le jeu aurait dû être un peu plus appuyé pour montrer l'excès du personnage. Là c'est une question de direction d'acteur.
Dostoïevski décrit Apollinaria Souslova comme possédant une estime d'elle-même et un égoïsme colossaux... La suite de la vie de Polina ne démentira pas cette assertion, voir ci-dessous loin son mariage "prolongé" avec Rozanov.
La vigoureuse jeunesse d'Apollinaria et cette colossale estime d'elle-même font sa force, mais montre aussi ses limites.
Quand elle déclare qu'elle voudrait faire souffrir "son" Espagnol pendant des lustres... mais c'est justement ce qu'elle fera plus tard avec le pauvre Vassili Rozanov qui ne lui avait rien fait (voir post sur les épisodes 1 à 3).

Au début de sa relation avec Dostoïevski, elle exige qu'il l'épouse, elle Apollinaria, alors que l'épouse de DostoPievski est très malage. Mais en 1865, lorsque Maria Dimitrievna est décédée et que Dostoïevski lui propose de l'épouser, elle refuse.

Quant à la scène dans les ruines de Rome où elle tient Dostoïevski à l'écart pour savourer son orgueilleux plaisir d'imaginer qu'elle, Polina, est la cause de ces ruines, la cause de la ruine de Rome, c'est une scène hautement significative pour comprendre Polina. Bien sûr, la correspondance entre l'Empire Romain et l'Empire Russe ne vous aura pas échappé. Chez Polina, caresser (orgueilleusement) l'idée d'assassiner le tsar amène cette analyse de Dostoïevski, en substance : oui, bien sûr, pour que tu te couvres de gloire et que ton Espagnol regrette d'avoir manqué la femme exceptionnelle que tu es.

Quant à la séance de pose pour le peintre Vassili Petrov, elle a lieu en 1872, d'ailleurs Doistoïevski fait une sortie à propos de son livre Les Démons, ce qui doit alerter tout spectateur sur le fait que cette scène se situe hors du fil du récit. Mais pourquoi ? C'est incomprehensible, et je dirais défendable. Je ne me souviens pas avoir vu de sous-titre "1872" pour cette scène, mais c'est à vérifier.
Le fil implacable de la chronologie, il n'y a rien d'autre en histoire.

Mort de Mikhaïl, le frère de Fédor. Lors de l'enterrement, leur tante décrit Fédor comme peu doué pour les affaires, ce qui est une info exacte apportée par le film, j'en avais parlé dans mon post précédent.
Mikhaïl est mort en laissant de nombreuses dettes, c'est bien mentionné. Fédor mettra un point d'honneur à se charger de ces dettes.

L'épisode 5 nous montre enfin Dostoïevski à l'oeuvre, dans son travail d'écrivain, malgré des conditions épouvantables, Fédor Mikhaïlovitch croulant sous les dettes, avec cette canaille de Stellovski qui espère bien, par un contrat inique, le réduire en esclavage pour neuf ans, si Fédor M. ne réussit pas à rédiger un roman sur le jeu en un mois à peine.

Et puis l'apparition très discrète de la jeune sténographe, Anna Grigorievna Snitkina. Dommage qu'on ne nous dise pas que cette toute jeune femme est une lectrice, une admiratrice de Dostoïevski.
Admirable personnage de jeune femme qui veut être indépendante, qui veut gagner sa vie par ses propres moyens, tout le contraire de Pavel, le fils de Maria Dimitrievna, cela aussi est bien noté.

Et puis la description* de ce très dramatique mois passé à lutter contre le temps, contre la misère, pour rédiger Le Joueur, les objets qu'il faut envoyer au Mont de Piété, Pavel qui réclame de l'argent, la famille qui débarque, une crise d'épilepsie qui fatigue énormément Fédor Mikhaïlovitch et pourtant, et pourtant, cet homme accablé de mille soucis, physiquement frêle et affaibli, cet homme ne renonce pas et il crée, il crée son roman, buvant force thé, dictant encore et encore, dictant fiévreusement, scène après scène, le récit du Joueur à une Anna Grigorievna toute jeune, intimidée par ce grand écrivain, émue par cet homme affaibli et rongé de soucis en qui brille pourtant, envers et contre tout, la flamme du génie.

*Ici la description est digne de foi parce que toute cette période est décrite avec beaucoup de précision et de finesse par Anna Grigorievna Snitkina elle-même, dans ses mémoires.
Donc ici la documentation est solide, et provient d'un témoin oculaire qui a finement observé toutes ces scènes.

K.

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5 décembre 2013

Sur la vie de Dostoïevski (épisodes 1, 2 & 3), une série commentée ici...

Dère màj : 2014-02-24 16:55 - V1 2013-12-06

Portrait de Dostoïevski par Vassili Perov, 1872
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Dosto_evski_par_Vassili_Perov___1872

Au cours du générique de la série, on voit la reconstitution des séances de pose de Dostoievski pour Perov.

SOMMAIRE

CORPS DE L'ARTICLE
(A) Prologue : conseils pratiques
(B) Évoquons maintenant cette "série" sur la vie de Dostoïevski
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(A) Prologue : conseils pratiques

Certes... vous pouvez passer (beaucoup de temps) à regarder cette longue série (que j'évoque après ce prologue),
mais... je vous conseille plutôt d'utiliser votre temps à lire.

Outre les ouvrages de Dostoïevski, bien sûr, vous pouvez lire...
(1) Dans une encyclopédie par exemple -
des repères factuels sur la vie de Dostoïevski et sur la Russie (au moins la Russie de l'époque). C'est toujours une bonne chose d'être capable de situer un auteur et son oeuvre dans son contexte historique.

(2) L' émouvant et beau livre de la seconde femme de Dostoïevski :
"Dostoïevski, mémoires d'une vie" d'Anna Grigorievna Dostoïevskaïa
(Eh oui ! C'est comme les joueurs / joueuses de tennis russes. La soeur de Marat Safin s'appelle Safina. Mais... attention, Nikita est un prénom russe masculin.)
ISBN : 978-2-7251-3193-1
Ce livre est paru au format poche, quand je l'ai acheté son prix était de 7,80€. N'hésitez pas à l'acquérir ou à vous le faire offrir !

(3) Sur ce blog, cliquer dans la colonne de droite sur le tag "Dostoïevski" pour avoir la liste des posts évoquant cet auteur.
Un post de ce blog est consacré à un autre film russe sur les trois femmes qui ont compté dans la vie de Dostoïevski, avec un lien légal : une pépite que je suis heureux de partager avec vous.
Remarque
Il n'y a pas de séparation étanche entre les posts : par exemple dans le post consacré aux épisodes 4 et 5, je reviens sur le Cercle Petrachevski.
 

(B) Évoquons maintenant cette "série" sur la vie de Dostoïevski, diffusée en décembre 2013 sur la chaîne franco-allemande "Arte".

Dosto_evski___s_rie_diffus_e_sur_Arte_en_d_cembre_2013
Reconstitution (dans la "série") de la séance de pose
pour le fameux portrait de Dostoïevski par Vassili Perov (1872).
Cliquez sur la photo pour l'agrandir.

Comment dire...
Il faut toujours essayer de se poser les bonnes questions.
À propos de cette "série" russe diffusée sur Arte,
posez-vous quelques questions.

Tourner un film, faire ressemblant, c'est bien. Mais pour comprendre un auteur aussi profond, ne faut-il pas aller bien au-delà des apparences ?

Au terme d'une épisode de cette série et même au terme de la série toute entière, aurez-vous acquis plus qu'une connaissance limitée de la Russie de l'époque et de certains évènements de la vie de Fédor Mikhaïlovitch ? Et croyez-vous vraiment que vous serez mieux à même de comprendre l'oeuvre de Dostoievski ?


Cette série est faite, au départ, pour le public russe qui a quand même une certaine connaissance de l'histoire russe, ce qui n'est pas le cas pour un public non-russe.
Certes, dans la "série", on peut au passage glaner des bribes d'information.
Sur des évènements historiques comme l'abolition du servage.
Le fait que Dostoïevski, à un moment, insiste sur la nécessité de donner une éducation au peuple implique, ipso facto, que le peuple n'était pas instruit.
Mais d'une série de plusieurs heures émergent seulement quelques repères et encore faut-il être très attentif :
après avoir vu cette série, êtes-vous capable de dire combien d'années Dostoïevski a passé au bagne (en Sibérie), et après la sortie du bagne, combien d'années il est resté relégué en Sibérie ?
Non, parce que ces infos sont noyées dans un envahissant fleuve d'images et de sons qui vous envoûte et vous distrait.
Au total, dix ans passés (malgré lui ) en Sibérie au cours d'une vie qui n'atteindra pas les soixante années...
- La peine,  purgée intégralement, au bagne comme condamné politique mélangé aux condamnés de droits communs, c'est quatre années.
- Après le bagne, la relégation en Sibérie : six années supplémentaires et encore, son retour en "Russie d'Europe" n'est dû qu'à une autorisation obtenue auprès des plus hautes autorités, dans ce régime autocratique : Dostoïevski n'avait aucune certitude sur la possibilité de quitter la Sibérie, il aurait pu y rester encore longtemps..., c'est pourquoi il est plus que compréhensible qu'il ait voulu construire une vie personnelle dans cette Sibérie d'où il aurait pu ne jamais être autorisé à repartir. D'où non seulement son désir mais aussi sa volonté de se marier avec une femme séduisante telle que Maria Dimitrievna. Sauf qu'il aurait mieux fait de laisser Maria Dimitrievna à ses amours avec le maître d'école. Mais à ce stade-là, Fédor avait déjà beaucoup investi affectivement en Maria Dimitrievna et il n'a pas eu la lucidité d'observer son comportement et de se dire qu'il n'était pas judicieux de lier son sien.
(Si Maria Dimitrievna avait épousé le maître d'école, celui-ci aurait certainement pris ses responsabilités, dans la mesure de ses moyens financiers. Dans ce cas-là, Maria Dimitrievna aurait peut-être été (qui sait?) satisfaite de son sort et fidèle.)

L'année d'abolition du servage ?
1861. Mais cette date, vous ne la trouverez pas dans la série.
Le public russe la connaît, cette date. Mais les non-russes ?

Vous ne trouverez pas non plus dans les trois premiers épisodes de la série le fait qu'après sa condamnation, Dostoïevski aura été surveillé toute sa vie par la police secrète, sa correspondance sera régulièrement ouverte par les autorités, ses bagages fouillés quand il passe les frontières - à la recherche de manuscrits "séditieux"...

Et au-delà des visages d'acteurs choisis et grimés pour ressembler aux personnages, après avoir vu cette série, aurez-vous une meilleure idée de la vie intérieure de Dostoïevski, aurez-vous une idée de son art fiévreux, aurez-vous saisi la profondeur des questions qu'il a posées, aurez-vous saisi - par exemple - sa distance et son ironie par rapport au romantisme?

Le temps de quelques épisodes de cette série, vous auriez pu... lire un ouvrage sur la Russie de cette époque, ou bien une biographie de Dostoïevski - un livre apporte beaucoup plus d'informations qu'un film
(Pour prendre un exemple, un journal papier apporte beaucoup plus d'infos qu'un "journal télévisé").

Le Cercle Petrachevski ne menaçait pas l'existence du pouvoir tsariste mais rappelait au Tsar le dangereux précédent des "Décabristes".
Rappel : l'insurrection décabriste (en décembre 1825, en russe décembre se dit "dékabr") fut une tentative de coup d'État militaire visant à obtenir du tout nouvel empereur Nicolas 1er une Constitution.
L'insurrection fut durement réprimée et le régime autocratique se prolongea, comme on sait, pendant de nombreuses décennies, sous une contestation croissante (assassinat d'Alexandre II en 1881) : la révolution de 1917 allait apporter plus qu'une simple Constitution...

Comme quoi, il est dans l'intérêt même d'un régime de se réformer pour survivre, sous peine de disparaître dans la violence permise par l'accumulation des injustices et des mécontentements.
Cf. le "printemps arabe": des régimes autoritaires destitués par un soulèvement populaire en Tunisie, Lybie, Egypte, sans parler du cas de la Syrie, toujours en guerre civile et tiraillée entre de multiples factions.


Remarquez... Il est particulièrement rare qu'un régime très autoritaire lâche spontanément une part significative de son pouvoir pour le rendre au peuple...
Un pouvoir très autoritaire n'hésitera pas à provoquer d'abord un bain de sang. Puis, si la pression du peuple se maintient, un tel pouvoir essaiera de lâcher quelques concessions pour se maintenir le plus longtemps possible.
AJOUT - Puisqu'il s'agit d'un article sur Dostoïevski: pour faire le lien avec un évènement récent touchant les pays sous influence russe, retracez les évènements de février 2014 en Ukraine...

Vous me direz, Dostoïevski pensait et croyait.
Soit mais... il faut examiner le sens des mots et la nature de la foi.
Dostoïevski est un enfant du siècle (le XIXème), il n'a pas la foi du charbonnier, il est en proie à des interrogations éthiques et métaphysiques:
"Si Dieu n'existe pas, alors... tout est permis" se dit un personnage avec effroi.
Mais ne peut-on peut fonder une éthique laïque ?
Il semble bien que si, mon cher Fiodor Mikhaïlovitch.

Comme Dostoïevski est un homme d'une grande sensibilité, il est touché non par l'Église (institutionnelle et hiérarchique), mais par un idéal de compassion et d'amour<, starets* plebiscité par la ferveur populaire mais détaché de l'appareil hiérarchique.
Starets : patriarche d'un monastère orthodoxe russe, reconnu par les fidèles comme autorité spirituelle.]

Parce que Dostoïevski est affectivement très attaché à la Russie, il est également attaché à la religion orthodoxe : difficile pour lui d'imaginer la Russie sans la religion orthodoxe. Enfin si, il peut l'imaginer, à travers les Nihilistes (mouvement russe, en latin nihil signifie "rien") et les révolutionnaires. Et il ne décèle pas chez eux les germes d'un avenir très désirable. L'avenir ne lui donnera pas tort.

Mais, mon cher Fiodor Mikhaïlovitch,  il ne faut pas généraliser sous prétexte que certains athéistes (ici les athéistes) ont fait des choix éthiques disctutables.

>> La réflexion éthique ne saurait être le monopole des religions...

Y a-t-il adéquation entre les problèmes du monde et la voie que propose Dostoïevski?
J'ai déjà dit que Dostoïevski n'avait pas la foi du charbonnier: c'était un enfant du siècle (le XIXème siècle vient après le XVIIIème, le siècle des philosophes, l'ère des lumières (par opposition à l'obscurantisme religieux]). Mais Dostoïevski était affectivement incapable de se détacher de la tradition chrétienne russe telle qu'elle s'incarnait dans la foi émouvante du petit peuple. C'est la vénération du peuple russe qui créait les starets.
Et Dostoïevski s'est arrêté là, il n'a pas osé penser plus loin, il s'est arrêté au christianisme russe comme seul repère possible, sans s'apercevoir qu'il risquait surtout - en pratique- d'encourageait la paresse intellectuelle, l'ignorance crasse et le conservatisme le plus pesant, oui il risquait d'encourager tout cela bien plus que la figure d'innocence et de compassion qui semble être pour Dostoïevksi un idéal ultime, une figure spirituelle certes émouvante mais qui a peu à dire sur les problèmes du monde.
Car
la figure chère à Dostoïevski, c'est celle d'un illuminé (le prince Mychkine est "l'Idiot"): malheureusement, une telle figure est de peu de secours face aux problèmes du monde. Et même face aux problèmes individuels (cf. à la fin de l'article le développement sur la psychologie humaniste et Milton Ericlson).

Le problème de la Russie tsariste, c'est qu'elle sera incapable de se réformer suffisamment.
L'abolition du servage (en 1861) ne pouvait être qu'une étape.

(...)

Cette série sur Dostoïevski commence lors du simulacre d'exécution des membres ou simples sympathisants du Cercle Petrachevski*.
Mais la vie de Dostoïevski ne commence pas là...

Dostoïevski naît fin octobre 1821.
Sa mère meurt de la tuberculose au début 1837, Fédor a 15 ans et trois mois.
Deux ans plus tard, son père est assassiné par ses propres serfs qu'il avait maltraités.
Orphelin, Fédor dépend financièrement d'un oncle qui ne lui donnera pas suffisamment d'argent : Dostoïevski connaît donc très tôt la pauvreté.
Au cours de sa scolarité, il est tout à fait à part parmi ses camarades, il consacre tout le temps qu'il peut à la lecture.
Ses études supérieures ne sont pas vraiment choisies. En tout cas, il réussit l'examen d'entrée à l'École militaire du Génie.

À l'été 1844 (il n'a pas encore 23 ans...), il démissionne de son poste à la Direction du Génie et commence à écrire son premier roman. Et il accède au rang d'auteur célèbre à 25 ans, avec Les Pauvres Gens (publié début 1846).
Quelques années plus tard à peine (1849), après quelques autres écrits (Le Double, La Logeuse : des textes que je recommande également) qui à l'époque n'ont pas eu le succès de son premier roman, il travaille sur un nouveau roman, Nietotchka Niezvanov, mais l'écriture de ce manuscrit sera interrompue par le procès du Cercle Petrachevski qu'il ne faisait que fréquenter pour parler de l'avenir de la Russie et pour participer à la vie intellectuelle de St Petersboug. S'ensuivent la condamnation, le cruel simulacre d'exécution et la condamnation au bagne (comme condamné politique). Le manuscrit de Nietotchka Niezvanov ne sera jamais terminé... et c'est bien compréhensible : Dostoïevski est entré dans une autre vie.
Il n'empêche que, bien qu'inachevée, Nietotchka Niesvanov est une oeuvre tout à fait intéressante. (Nietotchka est un diminutif - affectueux. Les lecteurs de Dostoïevski sont familiarisés avec l'emploi de ces diminutifs, fréquents en russe).

Surtout, pendant le même laps de temps, vous auriez pu lire deux ou trois nouvelles de Dostoïevski, ou bien vous auriez pu avancer la lecture d'un de ses romans.


Vous auriez pu, aussi, parler de Dostoïevski avec d'autres personnes appréciant cet auteur, échanger vos impressions, formuler ce que vous avez ressenti et compris en lisant tel ou tel de ses ouvrages.

De prime abord, je suis content qu'on évoque Dostoïevski à la télévision: c'est si rare.

J'ai donc été ravi d'apprendre qu'Arte allait diffuser une "série" (!) consacrée à la vie de Dostoïevski.

Mais est-ce qu'une reconstitution biographique - par ailleurs limitée - peut faire autre chose que simplement effleurer une oeuvre aussi importante, aussi profonde, un monde aussi intérieur ?

Des longueurs, des longueurs, des longueurs...
...Et puis, dans cette série sur Dostoïevski, on parle beaucoup de sa vie sentimentale. Alors ça a son importance bien sûr, mais consacrer autant de temps à l'attirance réciproque entre l'écrivain et la femme (actrice) d'un ami (médecin), ce n'est pas défendable. Ça pouvait être évoqué beaucoup plus brièvement : l'attirance réciproque, la fidélité de Dostoïevski à son ami et basta. Au lieu d'une évocation concise, la série nous impose plusieurs scènes au théâtre, avec de longs extraits d'une pièce sans intérêt !... Un choix indéfendable.
Dostoïevski était quelqu'un de sensible, mais ça on le savait.
Il aurait été préférable de choisir d'autres sujets à développer, aussi bien concernant la vie de Dostoïevski que la Russie de l'époque.
Pour parler clair, à beaucoup de moments au cours des trois premiers épisodes de cette série, j'ai eu l'impression de regarder un roman-photo sur la vie sentimentale de Dostoïevski, de baigner dans un soap opera, un feuilleton sentimental à destination d'un public que les producteurs ont dû supposer peu exigeant (la cible des pubs télé : la ménagère russe ???) et plus friand de tenues d'apparat que de contenu sensé.
Je trouve nullissime et scandaleux d'imposer au spectateur ces séances au théâtre et de théâtre alors que ça n'apporte rien à la compréhension de Dostoïevski. Tant d'autres sujets plus intéressants aurait pu être traitées...
...Quant au voyage vers une casino allemand (dans une ville d'eaux et de jeux), on aurait pu nous épargner la théorie inepte sur la chance développée par l'homme rencontré dans le train !
Par contre, les idées de Dostoïevski sur le jeu ont évidemment un intérêt, puisque l'addiction au jeu a marqué toute une partie de sa vie. Dostoïevski avait pourtant, intellectuellement, tous les moyens de comprendre qu'il est inutile de défier le hasard et d'imaginer qu'on va s'enrichir en jouant à des jeux d'argent.
C'est l'occasion pour nous de réfléchir à la faiblesse de l'être humain devant l'appât d'espérances illusoires, et à la capacité de l'être humain à s'illusionner, contre toute analyse raisonnée. (C'est un peu la même chose en amour, non ? Je vous laisse y réfléchir.)
Il est facile de calculer les très faibles probabilités de gagner le gros lot à... un jeu de tirage par exemple (les loteries, qui permettent à l'organisateur (État ou société privée) de s'enrichir).
Soit dit en passant, un contemporain comme Patrick B. (beau gosse, chanteur de variété, acteur de cinéma et homme d'affaires avisé) l'a bien compris : après avoir joué quelque temps au poker, il a investi dans une société qui organise des tournois de poker sur internet.
Et Dostoïevski ? Presque toujours endetté et aux abois (les créanciers sont pressants), il n'a jamais eu les moyens d'investir dans quelque affaire que ce soit. D'ailleurs, aurait-il eu de l'argent, Dostoïevski ne serait pas devenu un investisseur. Dostoïevski n'est pas calculateur, et il n'est pas très gestionnaire. Certes il est contraint de s'endetter, mais il fait trop confiance, signant trop facilement des reconnaissances de dettes en réalité injustifiée.

Seule sa seconde femme, Anna Grigorievna saura gérer mieux gérer ses affaires (n'anticipons pas, à ce stade il ne l'a pas encore rencontrée).
Mais il y a aussi - et il y aura longtemps - la passion du jeu (qui commence à être abordée dans le troisième épisode).

Alors, cette série, à en juger par les trois premiers épisodes ?
Des longueurs, et certains choix sont discutables.
Pensez-y : si la vie de Dostoïevski vous intéresse, lire plusieurs biographies sur cet auteur ne vous prendra pas plus de temps que de regarder cette interminable série, et vous apprendrez énormément plus d'informations !

En revanche, loin de moi l'idée de diminuer l'importance qu'ont eu, dans la vie de Dostoïevski,
...son triste mariage avec Maria Dimitrievna,
...sa passion malheureuse pour Apollinaria Souslova
...et son heureuse union avec la bienfaisante Anna Grigorievna Snitkina.

Les idées d'Apollinaria Souslova sont une chose, sa personnalité en est une autre. Le personnage d'Apollinaria Souslova est montré sous un jour qui me semble... très favorable, jusqu'à la fin du troisième épisode.

À l'époque où elle rencontre Dostoïevski, Apollinaria a un statut d'étudiante mais... bien que s'inscrivant à chaque rentrée universitaire, elle ne décrochera jamais décroché le moindre diplôme et elle n'étudiera jamais sérieusement.
Du coup, elle a du temps pour assister à des lectures publiques, se conduire de manière provocante, flirter avec différents étudiants au même moment, prenant plaisir à les faire souffrir.
Qu'Apollinaria soit conquise par les idées d'émancipation féminine, c'est tout à fait compréhensible et justifié étant donné la place restreinte accordée alors aux femmes.
Mais la façon dont Apollinaria incarne cette liberté est une façon très particulière et qui révèle une personnalité pas très réfléchie, pas très responsable et pas très plaisante. On juge quelqu'un à ses actes...

Qu'Apollinaria exige (de façon répétée) que Dostoïevski divorce d'avec Maria Dimitrievna, tuberculeuse et promise à une mort proche, est un exemple significatif qui ne plaide guère en faveur d'Apollinaria. Quelle grossièreté, quel manque de sensibilité !
Des deux, Apollinaria et Fédor, c'est Fédor qui souffrira le plus.
Malheureusement, plus elle le fait souffrir et plus elle prend d'importance pour Fédor.

L'illusion amoureuse est presque un pléonasme, puisqu'en général, être amoureux, c'est s'illusionner. S'illusionner sur les qualités de l'autre personne, et surtout s'illusionner sur l'adéquation entre cette autre personne et vous-même. Il y a d'ailleurs un autre post, sur ce blog, évoquant l'illusion amoureuse (tag, titre).

Impérieuse, manipulatrice, lors du voyage en Europe, Apollinaria quitte Fédor Mikhaïlovitch avec plus que de la désinvolture : de la cruauté, et elle le quiite pour un jeune Espagnol qui... la plaquera bien vite (!)
Cet élément biographique fournira des matériaux pour le roman Le Joueur, où Paulina (directement inspirée par Apollinaria) en pince pour "un petit français" sous les yeux du narrateur amoureux d'elle.

Fédor Mikhaïlovitch part pour Paris, pour retrouver Apollinaria. Mais après avoir été plaquée par cet Espagnol, Apollinaria ne voudra pas renouer avec Dostoïevski, acceptant de l'accompagner dans son projet de voyage en Italie à condition que ce soit comme une soeur, ce qui ne l'empêchera pas de se mettre nue devant lui.^^

Bref, Apollinaria torture Fédor Mikhaïlovitch qui reste fou amoureux d'elle, et elle en aura torturé d'autres, comme les étudiants avec qui elle flirtait simultanément, et elle continuera par la suite à torturer ses amants - nous parlons ici de sa vie après sa liaison avec Dostoïevski, parce que la suite de la vie d'Apollinaria est significative - : elle rencontre Vassili Rozanov (encore scolarisé) qui tombe amoureux d'elle ; elle a dépassé la trentaine... il faut préciser que le très jeune Rozanov sait qu'elle a eu une liaison avec Dostoïevski qui est son écrivain préféré : ceci a forcément joué. Apollinaria et Vassili entretiennent une liaison pendant plusieurs années, puis se marient. Quelques années plus tard, Apollinaria et Vassili se séparent mais alors commence un enfer pour Rozanov, selon ses propres confidences, car Apollinaria refuse de divorcer pendant... vingt ans, alors même que Rozanov a rencontré sa (future) femme...
La soeur d'Apollinaria a un comportement beaucoup plus convaincant : elle devint la première femme médecin de la Russie. Mais comme elle, elle étudiat sérieusement, il n'y avait guère de chance pour qu'elle ait beaucoup de temps à passer avec Fédor Mikhaïlovitch ou d'autres. ;)

Pour revenir à Dostoïevski, après sa passion malheureuse pour Apollinaria, il aura beaucoup plus de chance dans sa vie sentimentale.
Alors qu'il se croule sous les dettes (c'est malheureusement une situation constante pour lui), il se trouve aussi qu'un personnage douteux - l'éditeur Stellovski - lui a fait signer un contrat particulièrement déséquilibré qui met Dostoïevski dans une situation impossible : en gros (je simplifie), Dostoïevski doit rédiger et livrer un roman en vingt-six jours sinon Stellovski récupérera les droits sur son oeuvre.

Des amis veulent écrire pour lui, Dostoïevski refuse cette solution et décide d'assumer ce défi insensé. On lui conseille d'utiliser les services d'un(e) sténographe. À l'époque il n'y a pas de machine à écrire et la sténographie est un moyen pratique et récent de prendre des notes.

Un professeur de sténographie, M. Olkhine, envoie chez Dostoïevski sa meilleure élève, la toute jeune Anna Grigorievna Snitkina, dix-neuf ans et qui veut devenir indépendante, gagner de l'argent par son travail (des préoccupations qui n'étaient pas celles d'Apollinaria Souslova...).
Anna Grigorievna a lu Dostoïevski : chez elle, autour de la table familiale, on parlait souvent des oeuvres de Dostoïevski.
Et maintenant, la voici chez lui !
Elle se rend chez lui, ils parlent,
elle part assez triste, persuadée qu'elle ne travaillera pas pour lui.

Elle revient le soir même.
Dostoïevski insiste pour qu'elle s'assoie non pas pas près d'une petite table, mais à son propre bureau : elle se retrouve assise devant le bureau où a récemment été écrit Crime et Châtiment ! Ellle ressent une émotion extraordinaire... Mais ceci signifie aussi qu'elle était capable d'apprécier Crime et Châtiment. Anna Grigorievna avait accompli de brillantes études secondaires.
Elle travaille pour lui durant vingt-six jours, et le manuscrit est achevé.
Dostoïevski se précipite pour le porter chez Stellovski qui - ruse d'escroc - n'est pas là. Dostoïevski doit faire appel à un commissaire de police pour faire constater que le manuscrit est livré dans les temps.
Fédor Mokhaïlovitch, d'une façon très littéraire, demande sa main à Anna Grigorievna qui accepte. S'ensuivra une vie toujours difficile, très difficile, financièrement d'abord, avec une lutte toujours renouvelée contre les créanciers, une vie difficile pour bien d'autres raisons également : les parasites qui gravitent autour de Dostoïevski, la mauvaise santé de Fédor Mikhaïlovtch, son manque d'aptitude à gérer ses affaires, la perte d'une petite fille morte lors d'un voyage en Europe.

Mais pour en savoir plus, lisez plutôt
"Dostoïevski, mémoires d'une vie" par Anna Grigorievna Dotoïevskaïa (née Snitkina), sa seconde épouse. Voir le prologue de ce post.
Je tiens à signaler ce qui me paraît une erreur. Dans ce livre, les intertitres entre crochets ne sont pas d'Anna Grigorievna. Or page 40, on lit "[Dictée de l'Idiot]" (Dostoïevski dictant un manuscrit à Anna Grigorievna qui notait en sténo, et ensuite recopiait en clair)
alors que tout indique qu'il s'agit de la dictée du roman promis à Stellovski : Le Joueur.

Si vous vous intéressez à Dostoïevski, à son oeuvre,
c'est que vous avez senti que c'est un auteur important.
Dans ce cas, veillez à bien utiliser votre temps...

Par exemple vous et moi pouvons lire ou relire Dostoïevski plutôt que de passer autant d'heures à des activités moins enrichissantes.

Donnons l'exemple. Qu'est-ce que j'ai relu, ces derniers temps, sans remonter trop loin ?
Les Pauvres Gens, Les Nuits blanches, Le Double, La Logeuse, Humiliés et Offensés.

De Dostoïevski, vous pouvez tout lire, pas seulement ses romans les plus célèbres : il y a toujours quelque chose à en retirer.

K.

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14 septembre 2013

"Trois femmes" - Un film russe sur [quelques moments de] la vie de Dostoïevksi

Dère màj 2013-déc.21 17h42 - V1 2013-09-14

Pour accéder à tous les posts sur Dostoïevski,

aller dans colonne des tags et cliquer sur "Dostoïevski".

(1) Anna Grigorievna Snitkina, Anna G    (2) Anna Dostoyevskaya dans les années 1880

(1) Anna Grigorievna Snitkina (1846-1918), seconde épouse de Dostoïevski, photo de 1871. Dostoïevski l'avait épousé début 1867.
(2) Anna G. Dostoyevskaya (la même personne) dans les années 1880 (sans plus de précision);
Rappel : Dostoïevski (né en 1821) mourut en 1881.
Voici une photographie datant de 1863, quatre ans (tout au plus) avant son mariage avec Anna Grigorievna Snitkina, mariage qui eut lieu le 15 février 1867.

Dosto_evski_en1863

Et voici ce qu'écrit Anna Grigorievna, bien longtemps après son mariage.
"Le 8 novembre* est l'un des jours les plus mémorables de ma vie. C'est le 8 novembre que Fiodor Mikhaïlovitch me dit qu'il m'aimait et qu'il me demanda d'être sa femme. Depuis ce jour, un demi-siècle s'est écoulé ; pourtant, tous les détails en sont si nets dans ma mémoire qu'il me semble que cet instant a eu lieu il y a un mois."
(Suit alors la description de cette journée. // *1866.)

Leur vie fut incroyablement difficile, mais ce fut un très bel amour que celui d'Anna Grigorievna pour Fiodor Mikhaïlovitch qui eut, vraiment, beaucoup de chance de l'avoir rencontrée.


Cette journée n'a pas été facile,
et je me suis retrouvé sur Internet,
à chercher des renseignements bibliographiques
- et biographiques - sur Dostoïevski.
Ce fut de loin mon moment le plus agréable.

J'ai trouvé divers documents,
dont...

# ...Une traduction téléchargeable (gratuitement) de
"SOUVENIRS DE LA MAISON DES MORTS",
c'est-à-dire le récit de ses années de bagne,
ouvrage dont je vous ai parlé dans ce post :
"Northanger Abbey" adaptation TV du roman de Jane Austen - "Les Nuits Blanches" de Dostoïevski - "Jane Eyre" de Charlotte Brontë.
  Surtout, je le rappelle, ne lisez jamais les préfaces :
toutes sont chargées des préjugés et des théories du préfacier
qui vous encombreront l'esprit et vous induiront en erreur.
Sautez donc les préfaces et lisez directement l'ouvrage,
et ensuite prolongez votre lecture par des repères bibliographiques
et des documents d'époque.
  Voici le lien pour télécharger une traduction française (datant de 1886) de SOUVENIRS DE LA MAISON DES MORTS.
(cliquer ouvre un nouvel onglet)

# ...Un film russe sur quelques moments de la vie de Dostoïevski,
film intitulé "Trois femmes", d'Eugène Tashkov (acteur, scénariste et réalisateur russe).
Ces trois femmes sont, dans l'ordre chronologique :
- Maria Dimitrievna Issaïeva, première épouse de Dostoïevski.
Il l'épousa après ses années de bagne, alors qu'il était encore relégué en Sibérie. Cette union ne fut pas heureuse.
Maria Issaïeva mourut en 1864, la même année que le frère de Fédor, Mikhaïl Dostoïevski.
- Apollinaria Prokofievna Souslova, une jeune femme qu'il rencontra en 1861. Cette liaison fut extrêmement douloureuse pour Dostoïevski. Polina Suslova s'avéra impérieuse et manipulatrice. Elle n'avait guère plus de considération pour Dostoïevski que pour un autre de ses admirateurs et ne s'intéressait pas à son travail d'écrivain...
- Anna Grigorievna Snitkina, jeune femme intelligente et fort capable, fut la toute jeune sténographe (19 ans) à qui Doistoïevski dicta le manuscrit du Joueur, écrit en 26 jours (!) sous la contrainte d'un contrat inique imposé par l'éditeur Stellovski, douteux personnage.
Lorsque ce tour de force fut accompli et le manuscrit livré, Dostoïevski demanda la main d'Anna Grigorievna, qui accepta.
Cette lumineuse jeune femme l'accompagna jusqu'à sa mort et même au-delà, s'occupant comme personne de l'oeuvre de son défunt mari.
(Voir photos d'Anna Grigorievna en tête de ce post.)

Trois femmes, d'Eugène Tashkov - ici l'actrice qui incarna Anna Grigorievna Snitkina
Dans "Trois femmes" d'Eugène Tashkov, voici l'actrice qui incarne Anna Grigorievna Snitkina, jeune femme qui fut recommandée à Dostoïevski comme sténographe. Ce fut donc Anna Grigorievna qui sténographia - puis recopia - le manuscrit du Joueur, dicté par Dostoïevski.

  Pour chacune de ces Trois femmes, le film d'Eugène Tashkov retrace, de façon forcément très abrégée, leur relation avec Dostoïevski.
Il y aurait bien plus à raconter, notamment...
- À propos de la décevante Apollinaria Suslova et de la courageuse Anna Grigorievna.
- Et à propos de la surveillance policière qui continua à s'exercer sur Dostoïevski après le bagne.
- À propos de la mauvaise santé de Dostoïevski et de ennuis d'argent.
Il y aurait, en fait, tellement à raconter...
Et c'est seulement dans une biographie écrite qu'on peut approfondir les choses. Un film élague beaucoup.
  En tout cas, je n'ai pas boudé mon plaisir :
je me suis offert une soirée avec Dostoïevski.
Ah oui ! C'est un film russe... non sous-titré, mais si on connaît quelque peu l'oeuvre et la vie de Dostoïevksi, on ne sera pas perdu :
pour un fidèle lecteur - même non russophone - de Dostoïevski, c'est tout à fait intéressant.
Voici le site qui permet de le visionner en streaming :
Trois femmes

Bien à vous,

K.

Post-scriptum

Sur ce même blog, un autre post est consacré à une série russe* évoquant la vie de Dostoïevski.
* série diffusée sur Arte en décembre 2013

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